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07 juillet 2012

Fin de l'histoire de M. C : un homme en reconnaissance

Fin de l'histoire de M. C : un  Décodage identitaire

De ces entretiens, j’entends aussi cette demande de reconnaissance insistante. D’abord il me dit « qui êtes-vous ? » en me questionnant sur mon identité, puis « pourriez-vous être quelqu’un d’autre qu’une assistante sociale pour moi ? » (en n’ouvrant pas ses courriers) et enfin « moi je vais vous dire qui je suis, je ne suis pas qu’un usager du service social ».
Il y a bien là l’expression d’une demande de reconnaissance identitaire multiple.
Dans sa publication, Mr Lipiansky (sociologue) nous détaille les différents besoins identitaires exprimés dans la demande de reconnaissance : le besoin d’existence, le besoin d’intégration, le besoin de valorisation, le besoin de contrôle, le besoin d’individuation.
L. Freud

Il explique que « La satisfaction  de ces besoins (qui peuvent être convergents, mais aussi, conflictuels) suscite des « stratégies identitaires » diverses, mais on peut les ramener à deux grandes motivations : la maximisation des profits narcissiques (qui passe par la visibilité, la valorisation, l’individuation) ou la minimisation des risques de « blessures » (qui passe par la mise au premier plan de la conformisation, de l’anonymisation, du contrôle de soi). »

De cette approche théorique, je fais le lien avec ma pratique, en particulier avec Mr C., et je me demande si les accompagnements sociaux n’engendreraient pas  dans un premier temps une stratégie identitaire de type « minimisation des risques de blessures » visant à inscrire l’individu dans la relation dans l’acceptation du cadre proposé par le professionnel.

L. Freud
L’individu se conforme à ce que le service social attend de lui, il accepte alors d’être un parmi d’autres au sein du service, il minimise ainsi les risques de blessures identitaires possibles par le regard de l’autre. Si  le  professionnel  en face de lui le reconnaît uniquement dans cette identité « d’assisté social », selon le terme employé par M. Messu, il n’y aurait peut être pas d’autres demandes de reconnaissance.
Seulement voilà, la relation qui se construit et s’affine entretien après entretien est construite de mots (de maux) qui se disent, de confidences plus ou moins confidentielles, d’attente de réponses, de demandes explicites ou implicites ; cet « assisté social » se met en quête d’une autre reconnaissance dans le but de (re)construire une image de lui-même.
« On est donc amené à dire que toute situation d’assistance sociale, quelle que soit par ailleurs l’ampleur de la relation entretenue avec le professionnel, met en demeure celui qui la connaît de se repenser lui-même, de confronter l’image qu’il veut donner de lui à celle qu’il livre effectivement aux autres, d’ajuster ses attributs identitaires revendiqués à la situation qui est - désormais- la sienne. En somme, à rendre congruentes images de soi pour soi et image de soi pour autrui. »[1]
Il me semble que ce mécanisme identitaire est possible dans une relation inscrite dans une certaine durée entre le professionnel et l’usager.

Ainsi avec le temps qui passe, on assiste à une autre demande de reconnaissance revendiquée par l’assouvissement de besoins tels que les a repérés Mr Lipiansky. On se retrouve face à des individus qui passent à la seconde motivation en terme de stratégie identitaire, c'est-à-dire celle qui maximise les profits narcissiques.

C’est ce que je repère concernant Mr C, il veut être visible autrement à mes yeux, il veut être valorisé autrement que comme usager du service social. Il en va du travail de congruence qu’il fait entre l’image qu’il a de lui-même et l’image qu’il voudrait que j’aie de lui.
 Isabelle Farcy-Haïd 

Merci à Isabelle de nous avoir livré une partie de son mémoire : "De l’accompagnement social à l’autonomie , Il était une fois…la relation"
 (D.U. Penser le travail social / Université Toulon Var/ 2010)


[1] Op. Cité Michel Messu – « apprendre à être soi lorsqu’on est un assisté social » p.109.

Toutes les illustrations de ce post, et des précédents sur l'Histoire de monsieur C., sont des portraits de Lucian FREUD (1922/2011)

06 juillet 2012

Monsieur C : un homme en reconnaissance (3)

par Isabelle Farcy-Haïd

Mr C .me demande de sortir de ma fonction.  Il me met en position de toute puissance, il veut être totalement pris en charge.
Dans un premier temps je fûs submergée par un sentiment d’agacement face à ce comportement infantile : « il me prend pour sa mère ! ».
                                 
De ce ressenti je décode le mécanisme du transfert. Mr C. désire que je prenne la place de cette mère : « occupe-toi de moi ».

Sur le transfert FREUD précise : Il est entendu que nous ne cédons pas aux exigences du malade découlant du transfert ; mais il serait absurde de les repousser amicalement ou avec colère. Nous surmontons le transfert, en montrant au malade que ses sentiments, au lieu d’être produits par la situation actuelle et de s’appliquer à la personne du médecin, ne font que reproduire une situation dans laquelle il s’était déjà trouvé auparavant. Nous le forçons ainsi à remonter de cette reproduction au souvenir. »[1]  

Alors  j’ouvris le courrier pour lui remettre la lettre que nous avons lue ensemble, je ne pouvais rien en faire, lui seul était en capacité de répondre à la demande du courrier.
Je lui fis comprendre que le fait d’attendre l’assistante sociale pour ouvrir ses courriers n’était pas judicieux puisqu’il n’y avait que lui qui pouvait répondre au contenu des courriers. J’ai tenté d’estomper cette toute puissance maternelle  en lui signifiant qu’il n’y avait que lui qui pouvait quelque chose pour lui : « Sois autonome ! »

Lucian Freud, autoportrait
Pour terminer cette situation,  je vais faire état de ma dernière rencontre avec Mr C. qui fût pour le moins…surprenante pour moi !
Alors que nous terminions notre entretien, qui portait sur des dossiers administratifs à compléter, j’étais encore assise et je terminais quelques prises de notes. Mr. C. se lève pour se diriger vers la porte et me dit au moment de partir : « Vous savez c’est dur en ce moment pour moi, l’infirmière vient deux fois par semaine et elle me fait une piqûre dans le sexe, et bien ça fait mal ! ».
Je ne fis aucun commentaire, d’abord parce que je restais sans voix !
 Je serais tentée de faire l’hypothèse que M.C. était venu me faire part de son angoisse. Il y avait dans cette phrase quelque chose de provocateur en premier lieu.
Mr C. me parle de lui en tant qu’homme dans sa toute puissance symbolique. 



                                 S’adresse-t-il vraiment à l’assistante sociale ?
                                 Pourquoi me dépose-t-il cela en fin d’entretien ?

Le premier temps fût le temps de la sidération qui me laissa sans voix ! : « Le caractère provisoire de cette suspension de la parole est propre à l’étonnement, qui est fugace car sa durée de vie ressemble à celle de l’étincelle ; elle est vouée à ne pas durer et à ne laisser que le souvenir d’un « blanc », d’un instant éphémère où le sujet a été déshabité de la parole. »[2]
J’interprète cet instant éphémère du « blanc » comme le seul moyen pour moi de sortir de cet état de sidération. Cette apostrophe de Mr. C. n’attendait pas de réponse. Avec du recul je fais l’hypothèse que c’est peut être parce que Mr. C. a pu avec tant d’aisance  corréler le signifiant et le symbolique que  j’en perdis mon latin !
Mr C. ne me parle pas seulement de sa souffrance physique « ça fait mal » mais aussi de son angoisse. Je pense en particulier à l’angoisse de castration : « C’est que l’inconscient est un absolu concret et que l’image de la castration, son fantasme, est inséparable de la perte du pénis »[3].
La démonstration de son angoisse parlait bien de l’angoisse de la perte du pénis dans le fantasme comme dans la réalité.
Mais pourquoi me raconte t-il cela à moi, alors que le contenu de l’entretien ne laissait en rien présager de ce sujet de conversation ?




Lucian Freud 

J’ai cherché ce qui aurait pu se passer à la fois dans l’entretien ce jour là et sur les derniers entretiens que nous avons eus.

Je fais alors cette hypothèse : puisque cette angoisse de castration est toujours rapportée à la menace du père qui fait Loi : « Derrière le père réel, se cache un père imaginaire qui est gardien des Lois que nous supposons devoir respecter, ces lois répondent à notre organisation symbolique toute subjective. Il va sans dire que cette symbolisation contenue dans le concept de « nom du père » est capitale pour la psychanalyse. »[4].
J’ai analysé, en faisant le lien avec l’entretien précédent, que c’était peut être ma position autoritaire, fonction symbolique du père, pour lui signifier que je n’étais pas sa mère, qui aurait déclenché chez lui la manifestation de cette angoisse : « L’angoisse de castration est le moteur d’une symbolisation. Elle est encore ce qui permet le détachement du premier objet d’amour : une (la mère) de perdue, dix de retrouvées. »[5]

Plus je cristallise la relation dans son cadre légitime pour travailler comme il se doit avec Mr. C., plus il tente de briser le cadre avec « virilité » ! Puis-je le dire ainsi ?


[1] « Introduction à la psychanalyse »- Sigmund Freud – ed. Petite bibliothèque PAYOT- 2001- p. 541.
[2] « Les trois temps de la Loi » Alain Didier-Weill – ed. Du Seuil – 1995 – p.118. 
[3] « Les 100 mots de la psychanalyse » Jacques André – ed Puf que sais-je ?- 2009 –p.23.
[4] Op.cité « Introduction à la psychanalyse » p.64.
[5]  Op. Cité « les 100 mots de la psychanalyse » p.23.

17 juin 2012

Monsieur C : Un homme en reconnaissance (2)

Par I. Farcy-Haïd

Selon B.FOUREZ, la reconnaissance est avant tout « impersonnelle » car « La reconnaissance renvoie au collectif dont quelqu’un fait partie, remet en mémoire qu’il est parmi d’autres ; elle témoigne d’une articulation entre un élément et le tout »[1]or dans son article l’auteur fait état dans sa clinique de patients en quête d’une reconnaissance « personnelle » : « on voit très clairement ici la réduction de la vision de la reconnaissance au seul fait du subjectif et donc de l’affectif. Reconnaissance imaginaire en lieu et place de reconnaissance symbolique. Autrement dit, le rapport à l’individu abstrait, impersonnel, ne semble plus fondateur de la base de la personnalité. »[2]
                                 Mr C. ne satisferait pas de la reconnaissance que je lui témoigne en tant qu’usager du service social, en tant qu’individu inscrit dans son histoire, dans la  place qu’il occupe au sein de la société dans laquelle il vit.
                                 Cette place qu’il occupe aujourd’hui et que je lui reconnais c’est celle d’un homme qui prépare sa retraite puisque l’accompagnement social de ces derniers mois porte sur ce changement dans sa vie.
L. Freud, autoportrait
Si je vais plus loin dans l’analyse, « toute demande est demande d’amour »[3]. Ce que Michel Dethy définit comme « Cet « amour » est un ressort de l’analyse. En effet, l’analysant met dans la personne imaginaire de son psychanalyste toutes les qualités qu’il voudrait avoir, il y met aussi la certitude que l’analyste connaît tous les défauts de l’analysant et que ce même « dieu vivant » peut répondre aux questions que se pose le névrosé »[4]
                                
                                  Mr C. voudrait savoir qui je suis en dehors d’être une assistante sociale. J’entends là ce désir de passer sur une autre approche relationnelle : de la reconnaissance (impersonnelle) à la connaissance (personnelle).
                                 Pour répondre à sa demande « de carte » pour qu’il ne se trompe plus d’assistante sociale, je lui donne une carte de visite nominative aux couleurs de l’institution. Je remets ainsi du cadre dans notre relation pour qu’il sache que je suis avec lui dans une reconnaissance impersonnelle qui fait que notre relation « témoigne d’une articulation entre un élément et le tout ».
                                 J’inscris donc sa demande dans une démarche d’autonomisation dans un mouvement d’individuation.
                                 Mr C. sort une enveloppe, encore fermée, de sa poche et me la donne. Je lui demande ce que c’est que cette enveloppe, il me répond : « J’en sais rien, c’est une lettre que j’ai reçu hier, je pense que c’est pour ma retraite ! »
                                 Surprise qu’il ne l’ait pas ouverte, je l’interroge là-dessus, il se justifie : « j’y comprends rien aux papiers moi, je préfère que ce soit vous qui la lisiez. »
Alors que je travaille ardemment sur l’autonomie, Mr C. me donne à voir quelque chose qu’il ne faisait jamais : ne pas ouvrir ses courriers ! 
                                 Il me montre qu’il est de plus en plus dépendant de moi, qu’il ne veut pas retrouver son autonomie, ne pourrait-il donc pas envisager la fin de cette relation ?


[1] « Les maladies de l’autonomie » B. Fourez – Médecine et hygiène/ thérapie familiale 2007/4 volume 28 site Internet CAIRN- p.376.
[2] Op.cité « les maladies de l’autonomie » p. 377.
[3] Intervention de Catherine Mehu (psychologue, doctorant chercheur en psychologie) le 11/04/2010 – DU « penser le travail social » Université du Sud Toulon Var.
[4] « Introduction à la psychanalyse de Lacan »- Michel Dethy- ed. Chronique sociale-6e édition mars 2006. p.98

25 mai 2012

L'histoire de M. C...Un homme en reconnaissance.

Isabelle Farcy-Haïd offre aux lecteurs du Blog l'accés à son mémoire (D.U. 2009/2010)  "Il était une fois ... La relation " (extraits). Un conte à penser (social) à suivre sur plusieurs semaines ...





Monsieur C.  59 ans, est suivi par nos services (service social polyvalent de secteur / ndlr ) depuis plus de 10 ans. Il a eu à faire à plusieurs assistantes sociales dont moi-même qu’il rencontre régulièrement depuis 4 ans. Sur l’un des  derniers entretiens, Mr C. m’explique qu’il a des difficultés pour régler sa facture d’électricité, il est venu les mains dans les poches, sans aucuns justificatifs. Surprise, je lui demande si il a cette facture sur lui et il me répond « Madame, depuis le temps que vous me connaissez, vous avez tout dans mon dossier, je ne savais pas qu’il fallait amener des papiers ! ».
 Bien sûr que Mr C. savait que le service social réclame toujours des justificatifs mais il me sourit et répond : « On se connaît depuis si longtemps ! »

                                   Voilà cet homme qui connaît fort bien le fonctionnement du service social, le champ de compétence de la professionnelle mais qui tente de faire disparaître  le cadre. Comme si l’ancienneté de l’accompagnement social permettait de le faire.
                              Comme si l’assistante sociale pouvait se soustraire au fonctionnement  institutionnel et reconnaître Mr C. autrement que comme un « usager » du service social. Il veut être reconnu pour sa singularité, il me dit « faites-moi confiance ! ».
                                               Se pourrait-il que cet homme  et d’autres encore  puissent retrouver l’estime d’eux-même et l’estime de l’autre (« faites moi confiance ») auprès de l’assistante sociale ?
                                  
                                   Le cadre de la relation, si l’on part de ce postulat, ne serait pas vécu comme contraignant, au contraire l’espace de la relation ferait lien et  permettrait d’estomper le sentiment de vulnérabilité dans une relation d’interdépendance. L’assistante sociale au sein de l’institution pourrait être alors un maillon permettant à certains individus de se rattacher à un tout, d’être autonome dans le schéma proposé de l’individuation. La reconnaissance est au cœur même de la relation, il me dit « on se connaît depuis si longtemps ! ».

"Fragment Head of Gerald Wilde" Lucian Freud

                                 Un premier fait, antérieur à l’un de nos derniers entretiens, m’interpelle. La secrétaire me rapporte que Mr C. a souhaité prendre rendez-vous avec une de mes collègues, en la citant. La secrétaire lui rappelle qu’il est suivi par moi, qui suis sa référente, et qu’il aura rendez-vous sur une de mes permanences.
                                 Je le reçois donc sur ma permanence et sans attendre de s’asseoir, il me dit : « Mme FARCY, je ne me rappelais plus de votre nom quand j’ai pris rendez-vous, il faut que vous me laissiez votre carte car je me suis trompé d’assistante sociale, il y en a tellement !... » (Nous sommes 4 sur le secteur.)
 Avant même d’avoir commencé l’entretien, Mr C. se justifiait sur cet oubli, sans doute se doutait-il que je le questionnerais.
                                 Je fais là deux hypothèses :     
  • soit il voulait changer d’interlocuteur, ce qu’il n’avait jamais exprimé jusqu’à présent mais quelque chose aurait pu lui déplaire, 
  • soit il cherchait à me dire « vous voyez, depuis le temps qu’on se connaît en fait je ne vous connais  pas. »
   Mr C. ne me connaît pas et il me le signifie en m’interrogeant sur mon identité.                                                  
                                Pour la première hypothèse, je constate ici que Mr C. a reprécisé de lui-même le cadre institutionnel, il connaît le fonctionnement du service et il me l’a verbalisé sans même que j’eusse à le faire ! Je ne saurais pas si il y avait du mécontentement derrière cet oubli parce qu’il n’en n’a rien dit.
 
J.M. VIVES  précise qu’ « En tant que professionnel(le) on ne se met pas en position de connaissance mais en  position de reconnaissance ». [1]

                                 Je reconnais Mr C. dans son histoire, dans sa problématique dans l’accompagnement mis en place. Mr C. me reconnaît dans ma fonction d’assistante sociale et semble me demander autre chose...

                                                                                                                       A Suivre ...

[1] Jean-Michel Vives – Professeur en psychologie à l’Université de Nice -intervention au D.U « Penser le    travail social » le 25/04/2010 Université du Sud Toulon Var.