20 janvier 2012

Lucas , chapitre 2 suite ... JE-MOI-SURMOI

Par Martine Assandri 


La tentation est grande pour Lucas «  d’évacuer les sujets qui fâchent » ; il essaie de rattacher ses difficultés à l’école, (impossible de se fixer sur un but, d’écouter, de prendre des notes), il trouve des justifications pour éviter de les aborder.
« On sait en outre dans les crises d'adolescence les plus banales …combien sont fréquentes les défenses par le clivage, le déni, l'exclusion, l'acting. » (1)
En effet, cela  le renvoie aux positionnements parentaux flous, ambigües, conflictuels entre le père et la mère, communiquant uniquement lorsqu’il y a conflit à l’école et obligeant en quelque sorte le père à prendre en charge son fils, mais sans qu’il le veuille vraiment, comme une obligation, une charge.

Pour Lucas, comment s’affirmer ? Il retrouve partout ce rôle d’élève insaisissable, au comportement difficile ingérable ou incompréhensible,  alors qu’il suscite souvent la sympathie, et durant les périodes de crise, la compassion. Pour l’adolescent fragilisé, en rupture, ce renvoi à soi même ne peut il renforcer cette difficulté d’identification du JE ? La posture du MOI ne peut elle devenir envahissante, jusqu’à occulter l’être adolescent dans sa singularité et tenter de le coincer dans un rôle, dont il devient prisonnier ?

Les parents apparaissent dans son discours, démunis, impuissants. Les réponses tombent à coté, il précise d’ailleurs qu’aucune des sanctions qu’il a eues au collège, n’a eu de répercussions à la maison. Sauf qu’après chaque exclusion, il retrouve son père, s’installe chez lui durant plusieurs jours. Il passe d’ailleurs des moments privilégiés avec M.S. Il répare sa mobylette pendant que son père est à coté de lui. Ils discutent. Il dîne avec lui et sa belle - mère…

Il paraît, visiblement ému de son entretien avec le Principal. « Celui là, il ne  fera pas long feu, je vous le dis ! Mon père il va lui régler son compte ! » Je retrouve en cela le rejet de l’autorité, quasiment les mêmes remarques que sur l’ancien CPE, mais dit cette fois ci avec colère, concernant la personne censée représenter l’autorité. Le SURMOI de  Lucas apparait bien fragile, friable, flou.

Si le SURMOI est le cadre intégré par l’enfant, par des interdits et prescription sociales ou familiales, il y a là  comme un vide, là ou devrait être le contenant, quelque chose qui le soutient, le guide, « un lien entre lui et l’extérieur » (2)  .
takashi murakami

Mme T. évite les conflits avec son fils. D’ailleurs, précise-t-il, cette nouvelle exclusion n’a aucun sens,  puisque « je ne serai pas puni » et que sa mère comprend qu’il est malheureux dans ce collège, rejeté.
La figure d’autorité le rappelle à l’ordre, mais dans le même temps, l’exclue : il semble que cela ait du sens pour Lucas, qui se retrouve souvent dans cette position, chez son père. Après la prétendue sanction, le retour chez le père, ce dernier le renvoie chez sa mère. Au collège, il s’agit de la même chose, il est puni et renvoyé vers la mère. La différence dans ce nouveau collège, c’est qu’a été mis à jour, la présence de ce père, et qu’il est désormais informé et associé à toutes les décisions concernant son fils.
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(1) et (2) CAIN R., article dans Psychanalyse et adolescence : Les enjeux de l'adolescence, point de vue psychanalytique, publié sur le site de la société psychanalytique de Paris, http://www.spp.asso.fr


                                                                      A suivre ...

05 janvier 2012

Un conte d hiver, Lucas ... chapitre 2 : La crise.

Par Martine Assandri 


En 15 jours, la vie scolaire a été  interpellée sur plusieurs faits : sorties sans autorisation répétées, refus de manger à la cantine, pas de travail fourni, manque de matériel.
Puis sur des incidents : Lucas fume dans la cour de la récréation, devant la vie scolaire. Il sera exclu une semaine, celle d’ailleurs durant laquelle on devait se voir. Nouvelle exclusion après une sortie sans autorisation, d’où il revient alcoolisé. Les incidents de vie scolaires, les mises en acte d’un certain malaise de Lucas apparaissent aux yeux de tous mais rend tous les acteurs institutionnels comme impuissants. Punitions, exclusions se succèdent, sans réelle incidence sur l’amélioration du comportement  et l’adaptation de l’adolescent au collège. 

Photo du film "Paranoïd Park" de Gus Van Sant

Nous pouvons, avec l’aide de R. CAIN, replacer ces actes dans une certaine «logique» , lui donner du sens, ainsi : « …, pour la psychanalyse, l'adolescence, s'inscrit dans le registre de l'après-coup autour duquel s'organise toute la problématique puisque permettant, au niveau préconscient, la mise en forme, la mise en sens des désirs et des conflits infantiles fondamentaux jusqu'alors demeurés latents et qui constituent la matière même du travail analytique comme de la compréhension de la clinique.»[1]
 
Lucas cherche à grandir, à se séparer de ses parents mais cela va au-delà de la particularité de la situation.  Il y a comme une impossibilité de quitter le giron familial, une remise en cause de la « loi du père » qui permet la séparation. Comme son père s’avère en difficulté pour défaire ce lien - et même  le favorise par sa non-implication - l’Ecole, qui fait tiers, devient à son tour  insupportable. Et Lucas met toute son énergie en œuvre pour mettre en échec ce positionnement de tiers.
Clairement, les actes posés renvoient une certaine impuissance à l’institution, et les réponses apportés (exclusion du Collège), renforcent la difficulté pour cet élève, à investir l’espace scolaire. Tout comme son impossibilité à se détacher de l’emprise maternelle.
Le Chef d’établissement, qui  a reçu l’élève en urgence,  suite au vol d’un ordinateur portable en classe, me demande de le voir dans ce moment de crise.
Comme l’a indiqué la lecture psychanalytique, la fréquence des actes posés - leur gravité, leurs effets - donnent à Lucas une certaine place dans l’institution, mais donnent  surtout à voir de lui-même et de certaines difficultés le concernant.

Lors de cet entretien, Lucas arrive, pâle, me regarde à peine. Il a une attitude tout à fait différente. Il se tient le ventre, se plaint de vives douleurs. Il aura tout au long de notre entretien, une attitude tour à tour abattue ou  menaçante, agressive. « Personne ne pourra m’empêche de partir d’ici » crie-t- il, tout  en s’asseyant face à moi.
Mais devant le silence, à vrai dire un peu désarçonné de mon coté,  il se calme peu à peu.
Il raconte sa vision des faits. Poussé, encouragé par ses camarades, il a prouvé qu’il était « capable de voler ». Mais ce ne sont pas vraiment des copains, ajoute -t-il.  « Copains,  enfin si on peut dire… Je sais qu’ils se foutent de moi… Mais en fait, c’est  moi qui me fous d’eux… On me dit «  t’es pas cap », et ben ils ont vu… ». Il décrit là une situation où il n’a pas de prise, comme s’il était un pantin, un objet facilement manipulable.
Ses relations avec les autres de son âge, ses pairs, s’avèrent difficiles, conflictuelles parfois. « Je n’ai pas d’amis, enfin pas de vrais amis. ».
Lucas explique son isolement, sa difficulté à entretenir des relations suivies avec des camarades. Mais ici,  il avait  repéré de jeunes gens de son village, plus âgés (car ils sont déjà au lycée) qui, sans être des amis proches, sont des connaissances qui le rassurent. C’est d’ailleurs avec eux qu’il s’était alcoolisé la dernière fois. Mais il ne sait avec qui rester dans la cour, dans sa classe. Il ne sait pas comment se positionner pour être accepté.
Lucas a du mal à expliquer son geste. Ce qu’il veut c’est « rentrer chez moi », « je ne veux pas rester ici ». « Je ne suis pas bien, j’ai mal au ventre » et il est visible qu’il souffre, il se crispe par moments, en proie semble-t- il à d’importantes douleurs.
Photo du film "Paranoïd Park" de Gus Van Sant

Ce passage à l’acte illustre la difficulté de cet adolescent à formaliser son angoisse.  Le fait d’en parler avec lui peut l’éclairer lui-même sur les enjeux et la possibilité de sortir de ce fonctionnement. Sa difficulté psychique à s’individualiser, à l’énoncer se traduit plutôt dans un mal-être visible, dans ce mal au ventre, ces douleurs.
Ces répétitions, ce malaise de l’adolescent, sont perceptibles, il s’agit de les accueillir et de les interroger. Les actes empêchent à sa parole d’émerger, de s’élaborer plus avant. En s’appuyant sur cela, peut être est il possible d’élaborer avec l’élève, pour essayer de comprendre ce qu’il emmène avec lui dans cet espace, quelque chose de sa vie personnelle, de sa vie psychique « ou, en tout cas, pour éclairer l'analyste sur ce qui se joue vraiment là dans l'interrelation»[2].

[1] CAIN R., article dans Psychanalyse et adolescence : Les enjeux de l'adolescence, point de vue psychanalytique, publié sur le site de la société psychanalytique de Paris, http://www.spp.asso.fr  

[2]  Ibid                                                     A Suivre ...

 

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