17 juin 2012

Monsieur C : Un homme en reconnaissance (2)

Par I. Farcy-Haïd

Selon B.FOUREZ, la reconnaissance est avant tout « impersonnelle » car « La reconnaissance renvoie au collectif dont quelqu’un fait partie, remet en mémoire qu’il est parmi d’autres ; elle témoigne d’une articulation entre un élément et le tout »[1]or dans son article l’auteur fait état dans sa clinique de patients en quête d’une reconnaissance « personnelle » : « on voit très clairement ici la réduction de la vision de la reconnaissance au seul fait du subjectif et donc de l’affectif. Reconnaissance imaginaire en lieu et place de reconnaissance symbolique. Autrement dit, le rapport à l’individu abstrait, impersonnel, ne semble plus fondateur de la base de la personnalité. »[2]
                                 Mr C. ne satisferait pas de la reconnaissance que je lui témoigne en tant qu’usager du service social, en tant qu’individu inscrit dans son histoire, dans la  place qu’il occupe au sein de la société dans laquelle il vit.
                                 Cette place qu’il occupe aujourd’hui et que je lui reconnais c’est celle d’un homme qui prépare sa retraite puisque l’accompagnement social de ces derniers mois porte sur ce changement dans sa vie.
L. Freud, autoportrait
Si je vais plus loin dans l’analyse, « toute demande est demande d’amour »[3]. Ce que Michel Dethy définit comme « Cet « amour » est un ressort de l’analyse. En effet, l’analysant met dans la personne imaginaire de son psychanalyste toutes les qualités qu’il voudrait avoir, il y met aussi la certitude que l’analyste connaît tous les défauts de l’analysant et que ce même « dieu vivant » peut répondre aux questions que se pose le névrosé »[4]
                                
                                  Mr C. voudrait savoir qui je suis en dehors d’être une assistante sociale. J’entends là ce désir de passer sur une autre approche relationnelle : de la reconnaissance (impersonnelle) à la connaissance (personnelle).
                                 Pour répondre à sa demande « de carte » pour qu’il ne se trompe plus d’assistante sociale, je lui donne une carte de visite nominative aux couleurs de l’institution. Je remets ainsi du cadre dans notre relation pour qu’il sache que je suis avec lui dans une reconnaissance impersonnelle qui fait que notre relation « témoigne d’une articulation entre un élément et le tout ».
                                 J’inscris donc sa demande dans une démarche d’autonomisation dans un mouvement d’individuation.
                                 Mr C. sort une enveloppe, encore fermée, de sa poche et me la donne. Je lui demande ce que c’est que cette enveloppe, il me répond : « J’en sais rien, c’est une lettre que j’ai reçu hier, je pense que c’est pour ma retraite ! »
                                 Surprise qu’il ne l’ait pas ouverte, je l’interroge là-dessus, il se justifie : « j’y comprends rien aux papiers moi, je préfère que ce soit vous qui la lisiez. »
Alors que je travaille ardemment sur l’autonomie, Mr C. me donne à voir quelque chose qu’il ne faisait jamais : ne pas ouvrir ses courriers ! 
                                 Il me montre qu’il est de plus en plus dépendant de moi, qu’il ne veut pas retrouver son autonomie, ne pourrait-il donc pas envisager la fin de cette relation ?


[1] « Les maladies de l’autonomie » B. Fourez – Médecine et hygiène/ thérapie familiale 2007/4 volume 28 site Internet CAIRN- p.376.
[2] Op.cité « les maladies de l’autonomie » p. 377.
[3] Intervention de Catherine Mehu (psychologue, doctorant chercheur en psychologie) le 11/04/2010 – DU « penser le travail social » Université du Sud Toulon Var.
[4] « Introduction à la psychanalyse de Lacan »- Michel Dethy- ed. Chronique sociale-6e édition mars 2006. p.98

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