29 janvier 2011

Coline, Princesse d'aujourd'hui... Epilogue

Chacun a pu entendre l'autre, s'entendre. Le choc est rude cependant,  particulièrement pour Mme K. la mère, qui continuera encore longtemps à m'appeler. Elle dit lors de notre dernier entretien :
" Coline se sent mieux, elle reparle avec son père, nous reprenons des relations. Elle a toujours son nouveau copain mais elle préfère avoir son appartement. C'est difficile pour moi, c'est encore mon gros bébé, mais enfin, il faut qu'elle se débrouille maintenant. "
Mme est fragilisée, elle éprouve encore le besoin de m'en parler, peut être parce que cet espace que nous avons crée ensemble a pu être investi par chacun ; certes, de façon différente, plus ou moins importante, et cela a pu apporter un soutien, un moment de calme dans le tumulte, ou certaines choses ont pu être posées.

Alexandra Petracchi
" Ça a été la tempête, le bouleversement, on n'était pas préparé... Je la voyais encore quelques années, tranquille, dans sa petite vie. La voir si changée... Je n'étais tellement pas comme ca à son âge, cet évènement a tout bousculé... Je suis perfectionniste, je voulais tout maîtriser ; il faut que j'accepte enfin l'indépendance de ma fille et sa façon de voir. Tous ces évènements, ces rencontres, ca m'a beaucoup travaillé... Je vois une psychologue maintenant, mais je vous remercie de m'avoir aidé. On culpabilise beaucoup, je me suis appliquée et, avec ma fille, ca n'a pas marché. J'ai eu des soucis dans ma vie, des maladies, mais ca ne m'a pas chamboulé
  autant ".


Les relations de Coline avec ses parents sont encore complexes mais elles sont possibles désormais. Pendant une longue période, Coline ne supportait pas de les voir ensemble, et n'adressait plus du tout la parole à son père. Aujourd'hui, chacun réapprend à se côtoyer, même si vivre ensemble n'est plus possible. Mais des liens demeurent, se retendent, se reconstruisent.

Le symptôme de Coline, l'expression de son mal être, le travail sur la crise d'adolescence a mis à jour la crise familiale et le malaise de chacun. Le conte se termine, du moins ma lecture, car l'histoire se poursuit et se construit, sans besoin de mon écoute et de mon regard.
" Les contes de fées nous disent que malgré l'adversité, une bonne vie pleine de consolations est à notre portée à condition que nous n'esquivions pas les combats plein de risques sans lesquels jamais nous ne trouverions notre véritable identité. "(1)

Coline est revenue, seule, me revoir. Lorsque je lui ai demandé si elle souhaitait avoir un dernier entretien commun avec ses parents, elle m'a dit en souriant : " Non je ne préfère pas. Je viens vous voir seule encore cette fois, et eux s'ils viennent vous voir tous les deux, je pense que ca leur fait du bien. Je vous remercie, j'ai eu besoin de vous rencontrer pendant ma crise. Je suis venue vous dire au revoir et merci." Elle m'indique que désormais, elle n'a plus besoin de mon accompagnement que le temps est venu, ici aussi de se séparer, et que, comme dans une thérapie, " Le plus souvent le psychanalyste chute de sa place majuscule, pour devenir du rien, le souvenir plus ou moins exact d'un chemin accompli ." (2).

Tesa Gonzàlez
J'expérimente ce même processus, je l'accepte et je salue sa lucidité.

Pour Coline, qui n'a pas choisi un chemin facile, il m'est agréable de penser que, comme la princesse du conte, cette histoire lui a permis d'entendre " sur [elle] même et sur ses conflits internes à un moment précis de sa vie " (1) et qu'elle s'engage désormais, en tant que sujet à part entière, dans sa vie et ses projets.

" La Princesse décida, au début du printemps, de partir à son tour loin du château. Elle avait choisi finalement de quitter le cocon maternel malgré les tendres appels de la Reine et les explications avec le Roi son père. Elle s'aperçut que les souvenirs de sa dispute avaient été amplifiés par son chagrin et sa frustration de n'être pas Reine aux yeux de son père, mais seulement une jeune princesse. Cependant, elle accepta ce grand changement et en fut même soulagée. Elle regardait maintenant différemment le Roi, qui avait osé défier la toute puissance de la Reine mais aussi la sienne, en refusant de les laisser régner seules, sans partage, sur leur royaume imaginaire. Le chemin fut long et douloureux. La jeune fille rencontra bien des gens et connut bien des aventures, parfois bien plus difficiles qu'elle ne l'imaginait. Mais enfin, c'était la vie qu'elle avait choisie, et elle n'avait pas envie de renoncer à ses choix. Elle partit donc découvrir le monde. "  

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                                                          dessin Alexandra Petracci 

Fin
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(1) BETTELHEIM B., Psychanalyse des contes de fées, réédition POCKET, 2008
(2) GARATE-MARTINES I., article Petits propos sur le transfert, publié sur le site www.psychanalyse en mouvement.net
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extraits du mémoire "L'A.S. en établissement scolaire : contours d'un espace relationnel avec l'élève" Martine ASSANDRI / D.U. Penser le travail social 2008/2010

19 janvier 2011

Coline, princesse d'aujourd'hui chapitre 3 suite

Illust. Tesa Gonzales
Par le conflit qui l’a opposé à son père, et qui l’a remise brusquement dans sa position de fille, d’enfant du couple, Coline a subi comme un traumatisme cette confrontation. « Chaque fois que les conflits œdipiens sont ranimés…, ses sentiments violemment ambivalents lui font juger insupportables la vie familiale ».

Mme peut elle aussi évoquer sa difficulté à supporter la situation actuelle et reconnait pour la première fois avoir repéré certaine difficulté de sa fille à supporter la frustration, le refus venant de sa mère. « Je prends toujours sur moi … Je l’ai fait dans mon travail auprès de personnes en difficulté … Je l’ai fait dans ma famille, j’ai toujours voulu que chacun soit heureux, qu’il n’y ait pas de conflit… Même si Coline était parfois dure avec moi, elle était tellement parfaite, je pouvais passer là dessus ».

Katogi Mari
 
Monsieur peut ainsi reprendre sa difficulté à exister en tant que père dans sa famille, sa crainte de peiner sa femme, de la remettre en cause s’il reprenait Coline ou lui faisait des réflexions :
« Ma femme s’occupait de tout, c’était comme ca. Oui je partais souvent c’est vrai mais quand j’étais là, c’est comme si ça ne comptait pas… Si je la grondais pour une bêtise, ma femme ne le supportait pas. Je vais vous raconter une anecdote, qui m’est toujours restée. Un été, nous partions en vacances. Coline avait 7 ou 8 ans. Je m’en souviendrais toujours : elle était assise à l’arrière, ma femme à coté de moi, je conduisais. Il faisait chaud, elle a dit à sa mère  en me montrant du doigt  « Dis- lui de baisser la fenêtre »…

Les entretiens ont permis de dégager et de mettre à jour des fonctionnements et plus que cela,  des liens tissés entre les divers membres de la famille. Ces liens semblent distendus, voire déchirés, par l’impact provoqué par la réaction de Coline.
La remise en question provoqué par Coline s’inscrit dans une remise en cause des liens familiaux et « mobilise la capacité de la fonction contenante groupale familiale à contenir le processus de croissance de l’adolescence ».[2]
Grâce à elle, est mise à jour la mise en tension de la famille du « contenant familial » [2]et expose en plein jour les capacités et les limites du fonctionnement intra familial et au-delà des relations privilégiés que Coline entretenait avec sa mère, au détriment de la relation avec son père.
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[1] 
BETTELHEIM B.,  Psychanalyse des contes de fées, réédition POCKET, 2008.
[2]
BENGHOZY P., Cours de psychologie Une clinique du traumatisme et de la catastrophe  du 24/04/2010, D.U. Penser le travail social, Université de Toulon.
 A suivre ...
extraits du mémoire "L'A.S. en établissement scolaire : contours d'un espace relationnel avec l'élève" Martine ASSANDRI / D.U. Penser le travail social 2008/2010

07 janvier 2011

Coline, Princesse d'aujourd'hui, Chapitre 3.

 Coline en crise, Crise de la famille
Un entretien familial ou commun avec l’adolescent et un membre de sa famille, comme ici Coline et sa mère, permet d’avancer ensemble sur les problématiques mises en œuvre. Ainsi, nous pouvons nous apercevoir, et c’est le cas ici que, par delà la relation conflictuelle d’une adolescente avec ses parents, nous nous situons ici dans une approche du lien au sens ou l’entend Pierre Benghozy : « Avec l’adolescence  d’un de ses membres, c’est l’ensemble du groupe familial qui est concerné par le processus d’adolescence »[1].
                                                   Alexandra Petracchi
Coline a d'emblée était d'accord pour que je rencontre ses parents : mais il sera impossible que je les rencontre tous les trois ensemble, soit parce que M. F. est en déplacement, m'explique sa femme, et n'a pu se libérer (mais je me demande si tout n'était pas mis en œuvre pour éviter la confrontation à trois); soit parce que Coline trouve aussi de bonnes raisons pour ne pas venir lorsque son père est disponible (rendez vous chez le médecin, déplacement chez une tante etc.). Cependant grâce à Coline et son symptôme, les parents viennent ensemble pour la première fois pour parler de la situation de leur fille. Jusqu'alors, tout ce qui concernait Coline était de l'exclusive compétence de la mère.

Le Roi et la Reine étaient fort malheureux de voir l’évolution de leur enfant chérie. Ils se demandaient pourquoi la dispute entre le Roi et sa fille avait pris une telle ampleur. Le Roi se sentait triste et recevait chaque jour les reproches de sa femme, comme si ce qu’il avait fait était un crime. Il n’avait pourtant, selon lui, que rappeler que c’était lui le seigneur du château et que sa fille n’avait pas à fixer des règles et à mener ainsi tout le monde à la baguette ; dans le même temps, il en voulait à sa femme de ne pas prendre fait et cause pour lui, bien que n’osant pas, de son coté lui faire des reproches. Car il reconnaissait souvent, devant ses amis et sa famille, que la Reine était au-delà des mortels, plus clairvoyante et plus intelligente que les autres, mais dans le même temps, il lui reprochait d’avoir pris toute la place dans le palais et dans le cœur de leur fille .

Tout au long de la période, je verrais M. F. accompagné de son épouse, mais sans Coline. Ces entretiens s’avèreront importants pour Monsieur et sa femme, pour le couple qui se trouve à son tour confronté à une crise. Jusqu’à présent le couple était présenté par Mme K. comme sans soucis, sans problèmes puisque gérés au quotidien par la mère. C’est le père qui relativise la vision positive des relations. « Mais que voulez vous, ici, dans la famille c’est la bonne fée qui s’occupe de tout (montrant sa femme)  – et oui c’est vrai, elle le fait bien ! Heureusement qu’elle est là ! – mais moi je peux rien contre la bonne fée … » dira Monsieur, reprenant à ma grande surprise, et avec amusement, ce terme de « fée » pour parler de sa femme.
 
                                                                     Katogi Mari

M. F. semble avoir besoin de parler beaucoup, c’est comme un soulagement : « C’est dur de se retrouver ainsi accusé, d’être comme un criminel … Oui c’est ce que me disait ma femme et ma fille, (il est interrompu par Mme qui proteste, indiquant qu’elle n’a jamais utilisé ce terme-là, ni sa fille)  tu ne le disais pas comme cela mais je me sentais, oui, comme un moins–que-rien, un criminel… »
Cette mise à l’écart du père se retrouve souvent dans les contes, comme par exemple dans celui de Blanche Neige. Ce conte nous rappelle ainsi que « seule l’attention affectueuse des deux parents, jointe à un comportement responsable, peut permettre à l’enfant d’intégrer ses processus œdipiens ». [2]Coline a toujours vécu dans une grande complicité avec sa mère, quasi fusionnelle. A l’adolescence, les rôles se modifient et l’enfant pubertaire « est ambivalent dans son désir de surpasser celui des parents qui est du même sexe que lui. »[2]
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[1] BENGHOZY P., Cours de psychologie Une clinique du traumatisme et de la catastrophe  du 24/04/2010, D.U. Penser le travail social, Université de Toulon.
[2] BETTELHEIM B.,  Psychanalyse des contes de fées, réédition POCKET, 2008.

extraits du mémoire "L'A.S. en établissement scolaire : contours d'un espace relationnel avec l'élève" Martine ASSANDRI / D.U. Penser le travail social 2008/2010

à suivre ...