19 septembre 2008

« Les objets flottants, Méthodes d’entretiens systémiques » par Philippe Caillé et Yveline Rey, Editions Fabert, 2004, ISBN 2-907-164 63 5, 210 page

L’ouvrage est publié dans la collection « Psychothérapies créatives » qui oeuvre dans le champ de l’interaction entre les patients, les familles et les thérapeutes.
Les auteurs, eux-mêmes thérapeutes systémiques familiaux, ont ressenti la nécessité de rendre compte de l’enrichissement que la pratique de ces objets flottants (« rituels thérapeutiques ») leur a apportée depuis la 1ère édition de 1994.

« Les objets flottants » s’ouvre sur un métalogue entre les 2 co-auteurs (qui n’est d’ailleurs pas sans rappeler celui de Bio et Métapho dans l’Encyclopédie Térence ) expliquant leur prédilection pour le langage analogique (non verbal), en tant qu’outil permettant aux couples et aux familles venus les consulter de sortir de l’impasse des mots.
Le recours à l’objet flottant crée un espace de liberté et de rencontre entre thérapeutes et familles tout en fixant le cadre de cette rencontre, ces conditions réalisant l’émergence possible d’un « passage » - comprendre par là la transformation de l’écologie d’une famille.
Dans cette « ouverture » ( les auteurs emploient souvent des termes musicaux pour parler de leur pratique), distance est prise aussi avec « l’objet transitionnel » de D.W. Winnicot, s’intéressant plutôt au développement individuel (via la cicatrisation de la séparation de l’enfant avec sa mère) alors que les auteurs place leur analyse dans le « champ de l’épistémologie systémique », c’est-à-dire quelle place joue l’individu dans le système et quelle place lui fait jouer le système.

Une première courte partie traite ensuite de la complexité aujourd’hui ressentie de la thérapie familiale.
L’idée principale qui en découle est le refus de concevoir la thérapie comme la réparation mécaniste d’une panne, sous peine, insistent les auteurs, d’aboutir à la panne du thérapeute.
Celui-ci doit donc maintenir à l’oeuvre une dialogique ( dans l’acception d’Edgar Morin, dont les auteurs se réclament à plusieurs reprises ) appartenance/individuation pour les membres de la famille, écartelés entre la fidélité au système familial et la rupture d’avec lui pour exister.
En tant que système vivant, la famille nécessite un degré de désordre égal à son besoin de cohérence, et ce n’est pas la moindre tâche du thérapeute, que de créer un espace de juxtaposition entre ces deux contraires encore.
Ces constatations amènent le thérapeute à travailler avec/sur le savoir familial, qui peut être vu comme le paradigme ( « l’Absolu familial » ) faisant fonctionner le système famille.
Cette croyance, ces valeurs de base qui ont construit la famille, vacillent à un moment de son histoire, entraînant souffrance, peur et inhibition relationnelle. Malgré ces conséquences graves, la famille n’arrive pas à changer de paradigme, à faire place à un nouvel « Absolu » moins rigide et plus adapté.
La grande difficulté thérapeutique consiste donc à faire changer la famille de paradigme fondateur, ce qui, comme chacun sait depuis Bateson , ne se décrète pas !
Les auteurs ont donc opté pour un savoir « constructiviste », parce que facilitateur de métasavoir. Aussi bien pour le thérapeute – celui-ci sortant de ses solutions a priori- que pour la famille –celle-ci apprenant à être autrement en apprenant sur elle.
Sur ce fond conceptuel, l’objet flottant est alors initiateur de cet espace intermédiaire, ni tout à fait celui du thérapeute, ni tout à fait celui de la famille, créateur d’un vide que les interlocuteurs vont remplir de leur (s) rencontre(s)

La deuxième, et principale, partie du livre présente sept « objets flottants », illustrés par des cas de thérapie ainsi que des conseils pour les utiliser.

La sculpturation du modèle familial se fait en deux temps.
Le thérapeute demande aux membres de la famille de « sculpter » ladite famille dans ses échanges habituels. La statue de chaque membre « représente » tous les membres de la famille tels qu’il les voit en interaction.
Une deuxième séance est consacrée à sculpter en quoi la famille est différente des autres, la « représentation » se fait sous une forme non humaine.
Le thérapeute accède là à deux prises d’information par le non verbal : au niveau rituel et au niveau mythique, afin de faire avancer les patients vers la prise de conscience du paradigme dominant, l’Absolu savoir qui fonde l’existence de ce système famille-là. Une variante du principe existe, due à Luigi Onnis : on demande les sculpturations du passé et de l’avenir, méthode qui semble moins menaçante à certaines familles, notamment celles psychosomatiques.

La chaise vide du « Plus-un » vise aussi à faire émerger et admettre le modèle familial. Cet Absolu est le « Plus-un », le membre supplémentaire représenté par une chaise vide au cours des séances, et avec lequel les membres doivent dialoguer. Cette « tierce personne » symbolique permet aussi une triangulation des rapports conflictuels entre deux membres de la famille, les sortant ainsi du blocage.

Le conte systémique permet d’affiner encore les prises de conscience qu’a réalisées la famille au cours de sa thérapie. Reprenant les principes du conte classique, l’écriture transporte dans un autre temps et un autre lieu la famille, lui permettant une distance avec son histoire en la présentant comme une légende. Le conte est écrit par le thérapeute avec les données qu’il a collectées lors des entretiens par les autres « objets flottants » mais il reste inachevé, à charge de chaque membre de la famille d’en fournir une fin. L’Absolu familial peut ensuite être davantage parlé entre le thérapeute et la famille. Autre utilisation du conte systémique : celui-ci peut servir de transition ultime entre thérapeute et famille avant de se quitter : en quelque sorte, il médiatise la fin de cet espace-temps intermédiaire qu’était la thérapie.

La fabrication des masques augmente l’intensité dramatique dans la relation thérapeutique, apportant des informations de type émotionnel et mythique. On demande aux membres de la famille de confectionner un masque représentant chacun de ses parents, même s’ils sont décédés. Les masques tiennent plutôt de la caricature, avec quelques traits forcés.
Ensuite chacun parle au masque qui est exposé au milieu de la pièce, et dit quel est le message délivré par le masque.
Cette méthode assure, outre une libération de la parole, une prise de conscience des rôles tenus dans la famille, de leur rigidité menant à l’impasse, et de la possibilité d’en changer. A la fin de la séance, on demande aux acteurs s’ils gardent les masques qu’ils ont confectionnés ou s’ils peuvent en changer.

Le jeu de l’oie (loi) systémique s’inspire lui aussi du vrai jeu de l’oie et permet d’avancer dans le travail sur l’individuation/appartenance des membres de la famille.
Le thérapeute demande à la famille de choisir dix événements fondateurs dans son histoire. Il écrit sous leur dictée les fiches relatant ces événements, dont le choix commun facilite déjà les interactions familiales. Puis chaque membre attribue un symbole à chaque événement, tels qu’ils existent dans le vrai jeu : l’oie qui fait sauter les obstacles, la prison qui immobilise, le puits qui est un danger, l’hôtel un repos, le pont qui unit, le labyrinthe qui confronte à ses propres ressources, la mort qui est la fin d’une chose. Enfin, chaque « joueur » est invité à écrire ou dessiner les cases de départ et d’arrivée, laissées vierges. Cette dernière phase laisse souvent apparaître le respect de l’opinion des autres membres familiaux, porte d’espoir vers l’acceptation de l’individuation.

Le Blason consiste à faire dessiner/écrire à la famille un blason illustrant ses valeurs premières. Il s’agit de travailler sur la culture d’appartenance. Une devise chapeaute quatre cases : celles du présent, du passé, de l’avenir, et le dessin d’un objet emblématique. Ce blason, en condensant l’émotionnel lié à la souffrance de la situation du couple ou de la famille, va la rendre accessible et donc la faire évoluer.

L’équipe réfléchissante permet à un thérapeute de ne pas se laisser aspirer par le problème du patient. Celui-ci appelle à l’aide une équipe réfléchissante, composée de thérapeutes qui ne vont pas se mêler de thérapie, mais présenter une réflexion sur l’interaction entre le thérapeute et ses patients, risquant donc de faire émerger « le modèle qui semble gérer leur interaction ». Cette interaction décalée va amener des ouvertures alternatives, richesse qui éloignera tous les acteurs en présence d’un modèle à causalité linéaire.

Ainsi tous ces objets flottants par l’espace qu’ils créent, suspendu entre deux mondes, décalé de la réalité que les acteurs vivent ailleurs, apparaissent comme autant de balises d’un « passage : entre groupe et individu, entre intérieur et extérieur, entre passé et futur ». Passage qui fera muter les acteurs de l’épistémologie de la panne à l’épistémologie de la crise, d’où pourra naître l’évolution. A la condition expresse, toutefois, de ne pas transformer les objets flottants en totem, en outil magique- sous peine de réintroduire la réduction que l’on traquait.

En guise de conclusion, les auteurs ont voulu revenir à un propos plus épistémologique, où l’on voit défiler le Temps, le chaos, l’ordre et le désordre, sans qu’il soit toujours possible de les relier nettement aux objets flottants...
Qu’importe, nous retiendrons plutôt la créativité dialogique induite par le voeu final des auteurs : que le lecteur trouve à travers ces pages rigueur et poésie, le convainquant de poursuivre son difficile travail thérapeutique.
 par Hélène MIMENZA.

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