16 décembre 2011

Un conte d'automne, chapitre 1 suite... Lucas (3)

"mère et fils" par Diane Airbus
 Par Martine Assandri 


1.2 Elève et famille


Cette situation me semble difficile à gérer du fait des positionnements parentaux : la  mère  établit la liaison avec l’école, elle reste l’interlocutrice privilégiée. Pour la vie scolaire, cependant, elle n’a pas un discours très clair et les intervenants (CPE, Surveillants) se sentent dépassés par le discours de la mère qui évoque ses difficultés personnelles, quand elle est interrogée sur celles de son fils. Le service social peut alors prendre le relais, pour tenter d’appréhender différemment la situation. Même si le contact téléphonique avec Mme T. n’a pas été très long, certains éléments sont apparus, qui s’articulent avec le discours de Lucas.
Pour Madame, qui s’exprime beaucoup par la plainte, son enfant est dit- elle en préambule, « adorable, gentil à la maison ». Elle l’excuse de ses absences et s’attribue la responsabilité de son arrivée retardée par un manque de moyens, de possibilités matérielles (elle n’a pas de voiture, ni de personnes autour d’elle susceptible de l’aider). Lorsque il lui est proposé une rencontre, pour évaluer des aides possible, c’est la fuite : « des assistantes sociales, des psychologues, j’en ai vu des tas ! Et elles ne servent à rien ! ». Quant au père « Ne comptez pas sur lui ! Il ne s’est jamais occupé de nous ! Il ne peut pas s’en occuper, de toute façon, il habite à V… c’est beaucoup trop loin ! ». Le discours de Lucas et de sa mère se rejoignent.

L’intervention d’un tiers, qu’il soit familial ou extérieur, semble donc bien compromis, lorsque l’on entend Mme T.  Cependant, celle-ci ajoute : «  si un jour, en venant accompagner Lucas, vous êtes là, je verrai si je peux passer vous voir ». Mince promesse en effet, mais Mme T. sait que la situation est connue et pose question,  que l’Ecole joue un rôle de cadre contraignant et structuré. Cela peut susciter une réflexion, un échange entre mère et fils.
A la suite de cet appel, la consultation des documents concernant la situation s’avère intéressante : information préoccupante du collège de C., rapport d’un animateur, évaluation de l’ancienne équipe. Ces personnes extérieures étaient d’ailleurs apparues dans le discours de Lucas : «  Je m’en fous des autres (adultes), de toute façon, je veux plus les voir. J’ai vu Fred (un animateur) à C. mais maintenant c’est fini. ».
Cette famille semble avoir un fonctionnement fermé sur lui-même ou le tiers est un intrus, un gêneur.
L’éclairage systémique, en termes de fonctionnement familial, parait intéressant. Il peut éclairer d’une certaine manière, un fonctionnement familial, correspondant à ce qui a été dit, par les uns et les autres, sur cette famille et ses interrelations.

La description de famille insécure ambivalente me parait décrire un type de fonctionnement, proche de celui de la  famille de Lucas [1].


<<<<conflit de COUPLE >>>>Femme                                                                                                         Homme
Insécure ambivalente                                                                                     insécure évitant








 
 

Lien privilégié                                                                                                     Père satellisé
Mère-enfant                                                                                    Investissement ailleurs                         
                                              .....................................................................




 enfant 
...........................

                      <<<<<          Mise à mal de l’éducatif.  >>>>

           conflit autour de la parentalité






Je reprends avec Lucas ce positionnement parental, pour évaluer si cette représentation correspond à une certaine réalité. J’ai besoin de lui pour comprendre ce qui se passe entre eux et pour savoir aussi si cette représentation que j’en ai est pertinente. Pour lui, et il insiste, sa mère est seule, en grande difficulté, sociale, économique affective, même si, corrige-t-il «ses parents» s’entendent bien le concernant. Il vit depuis tout petit avec sa mère et ils ont quitté la vallée où habite son père pour C., la distance géographique symbolisant peut être la distance souhaitée par la mère avec son ex-mari.
Son père est présent dans sa vie et en cela, il contredit les propose de sa mère. C’est Lucas qui change la donne : il ajoute tout naturellement, à ma grande surprise, car moi aussi, je me suis laissé envahir  par cette certitude d’un père absent, inexistant. « Mais vous voulez le contactez  mon père ? Vous voulez son numéro de téléphone ? Et son nom ? Je vous les donne moi ! »  Il les  inscrit sur un morceau de papier et me le donne avec empressement.
Lucas comprend et approuve le fait  d’être en rapport avec ses parents, les deux précise-t-il, dans le cadre de sa scolarité. Mais il relativise rapidement cette demande en affirmant qu’ils « ne viendront pas ! Vous  ne  vous rendez pas compte le temps qu’il faut pour venir ! Ils n’ont pas que ca à faire ! ». Il cherche déjà en quelque sorte une excuse pour ses parents, comme s’il prévoyait d’avance le positionnement de son père et de sa mère. A cela, il tente certainement de faire entendre la difficulté à  grandir, malgré des parents présents autour de lui,  mais absents sur des moments importants de sa vie.
                                                                                                                        A suivre ...

[1] Schéma d’après les travaux de John BOLWY, décrits par Michel DELAGE, cours de psychologie, La Famille, du 14/02/2009, D.U. Penser le travail social, Université de Toulon et du Var 


Penser Noël ...Bonnes fêtes à tous !


03 décembre 2011

Lucas (2), un garçon hors pair(s) ... suite chapitre 1

 Par Martine Assandri 


Le retour en classe de Lucas le confronte à une certaine réalité, à un rapport aux autres, adultes et adolescents. Certes, il évoque ses difficultés scolaires d’abord : « Je m’ennuie en cours, je n’écoute pas ». Il explique qu’il pense pouvoir facilement suivre les cours, comme sa mère le dit souvent et d’ailleurs ses bulletins n’évoquent pas des difficultés de compréhension, mais bien un désintérêt manifeste pour les matières enseignées. En effet comment suivre quand on n’a plus de aucune matière enseignée depuis des semaines, quand on n’arrive sans affaires pour noter…

Il  ne se saisit pas de ce lieu comme un espace d’apprentissage scolaire. Mais il se l’approprie différemment.
S’il prétend n’en percevoir que la contrainte, punitions, horaires, devoirs… il évoque aussi le rôle de  contrainte de l’école sur ses parents et sa mère en particulier, à laquelle est reprochée son « incapacité » à scolariser correctement Lucas, à enrayer son comportement inadapté.
'Balancing your business' par Nate Williams
Lucas provoque par son attitude, apporte un symptôme dans l’école. L’adolescent peut ainsi exposer quelque part ce qu’il ne peut dire à sa mère, à savoir que malgré son affection énorme (ou à cause de cela) leur relation en tête-à-tête devient lourde à porter. La nécessité de s’autonomiser, de se différencier, paraissant difficile pour Lucas, le cadre du Collège l’oblige à évoluer et à questionner l’interrelation mère-fils mais aussi père-fils. En effet, son comportement, le symptôme, attire aussi l’attention, par ricochet, sur la place de son père :

-          Mon père … Il me dit des trucs et puis souvent je vais chez lui, quand je ne vais plus au collège … Je bricole, je reste dans sa maison … Ca se passe bien mais après je retourne chez ma mère et puis au collège … »

Sur la réaction de son père suite aux incidents multiples, à la déscolarisation, Lucas le décrit comme un allié, quelqu’un qui le défend contre un système vécu comme injuste, inadapté.
-          Il me soutient ? Non, enfin oui,  mon père crie un peu… Mais en fait, il est d’accord avec moi ! D’ailleurs il l’a dit,  à mon ancien collège, que j’avais raison ! »

Il revient sur le conseil de discipline qui  a prononcé son exclusion.  La 5°, a été une année beaucoup plus difficile. C’est à ce moment que les conflits se sont  multipliés et ont pris de l’ampleur. Les sanctions tombaient, les profs « n’en pouvaient plus ». Il reconnait volontiers, peut être même avec une certaine fierté, son comportement, sa mise en échec de l’institution à avoir pu le cadrer. Pourtant il a dû partir, alors qu’il regrette cet ancien collège et en parle de façon positive. Il se met d’ailleurs en colère concernant le conseil de discipline :
-          « C’est une merde ce truc !  C’est la faute du conseiller d’éducation qui le « jette dehors alors qu’il n’a pas le droit ! » Il impute la raison de son exclusion a un conflit entre le CPE et lui, et à la réflexion, avec la principale du collège, et conclue que  « tant qu’ils y seront, je serai grillé. ». Et il est conforté dans cette vision par son père, qui est venu le jour du conseil de discipline pour la première fois, au collège. « Mon père  a pris un avocat ! Il m’a dit que ce n’était pas juste ! » Il parle avec fierté de son père, venu défier l’institution, qui a haussé le ton, menacé de poursuites etc. …
-          ils n’avaient pas le droit de me faire partir ! (il s’agite sur sa chaise, il semble énervé ; mais ce n’est pas fini vous savez … Mon père, il m’a dit que c’était pas normal …
Il n’habite pas avec moi, mais il est venu ce jour là au collège. Il leur a dit sa façon de         penser (il rit) ».

L’équipe éducative de C a appris ce jour là que Lucas avait un père et qu’il pouvait se déplacer !  Mais malgré cela, « ils n’ont pas voulu me garder. » conclue- t-il.
Chez lui, dans son quotidien,  il a l’impression de pouvoir maitriser les choses. Ainsi « je choisis mon heure de coucher et de sortie. Chez mon père, je suis moins libre ! Mais il est gentil mon père aussi, il ne me gronde pas pour rien, et si il y a une punition, ca ne dure pas. ». Lucas semble  dans une place de toute puissance que lui donnerait, du moins c’est ce qu’il explique, constamment sa mère, mais aussi son père.  Il « choisit » de ne pas venir à l’école et de rester sur son ordinateur. Il « choisit » de ne pas prendre son car, car cela est trop fatigant. Il choisit de ne pas travailler car de toute façon, il est injuste qu’il se retrouve à B contre son gré  … Le choix laissé à Lucas paraît énorme, sans limites : en cela, il peut être vécu par Lucas comme terrorisant. En effet, personne par définition « immature » au sens que l’entend Winnicott, il semble être « Le roi du château », comme dans ce jeu «  de la première période de latence qui, à la puberté, se transforme en une situation de vie, une affirmation d’être en tant que personne  »[1] où l’enfant s’imagine tout puissant.
Imaginove

Lucas émerge de l’enfance de « façon gauche et désordonnée »[2]. La croissance remarque Winnicott, n’est pas seulement lié au biologique, mais est inextricablement mêlée à un environnement facilitant. L’environnement familial de Lucas est-il facilitant dans ce positionnement de retrait, de laisser-faire, tout en étant décrit comme rempli d’amour et d’affection ? Il ne manifeste pas d’animosité envers ses parents, ni d’agressivité. Sa rébellion, il l’exerce au collège, il donne à voir dans cette institution, quelque chose de lui-même. Ce symptôme a certainement un sens, comme tout symptôme. Peut-on émettre l’hypothèse que dans l’impossibilité psychique de remettre en cause la relation parentale, le conflit avec l’école devient l’élément émergeant de cette impossibilité ? Une façon, aussi peut-être de supporter cette situation ?

                                                                                                         A suivre ...



[1] WINNICOOT D.W., Jeux et réalité , Folio poche, Paris, 2008,  p. 258
[2] Id. p. 257

24 octobre 2011

Un conte d'automne : Lucas, un garçon hors-pairs(s)...

Suite... 1° rencontre avec Lucas

Sa scolarité a été bonne jusqu’au CM2. Dés son arrivée au collège, il s’est senti mal à l’aise. Cependant la 6° s’est relativement bien passée malgré un comportement « un peu agité » précise-t-il. Pourtant, jusqu’au CM2, à la « petite école », il se sentait bien, il s’entendait bien avec le maître.
Katogi Mari

« L’entrée au collège marque l’entrée dans l’adolescence. A ce grand changement de contexte extérieur, le départ de la petite école qui marque ainsi symboliquement la fin de l’enfance, intervient un remaniement psychique profond. C’est le moment de  l'irruption de la génitalité, sur le plan physique et psychique, qui bouleverse les données du conflit œdipien. Ces nouveaux enjeux  entraînent un remaniement des données  et des certitudes personnelles de l’individu. ».[1]

L’entrée au Collège a changé le rapport avec les adultes, tant dans l’école qu’à l’extérieur. La place de sa mère, notamment, a dû évoluer.  

Je lui demande comment était organisée sa vie à cette époque. En effet, lorsque j’ai consulté sa fiche-élève, apparaît seulement le nom de sa mère. Le père n’est pas mentionné, ni son nom, ni son adresse. Lucas porte le même nom de famille que Mme T.

« Ma mère c’est elle qui vient au collège. Je suis avec elle depuis longtemps, depuis qu’on a déménagé en fait ". La mère et le fils se sont installés dans une vallée isolée du département tandis que le père, M.S. est resté dans autre vallée également très rurale, à l’autre bout du département. Il précise d’ailleurs qu’il vit avec sa mère depuis tout petit, que d’ailleurs il n’aimerait pas revenir vivre dans le village où vit son père, « Holala non ! ».

Pourquoi cela ? « Parce que c’est ma mère qui s’occupe de moi. Mon père, je le vois de temps en temps, mais ca suffit. »

Ce « mais ça suffit » a semble t il été pris au pied de la lettre par les divers adultes de l’école qui ont croisé Lucas. En fait, il semble que l’institution se soit toujours contentée de la parole de la mère expliquant qu’elle était seule à éduquer son enfant. Elle ne peut jamais compter sur M. S. qui, d’ailleurs, a refait sa vie, même s’il n’a pas d’enfant plus jeune que Lucas.

Je suis moi-même à mon insu, bien avant de rencontrer Lucas, dans cette image. Beaucoup de personnes m’ont interpellé le concernant, chacun m’apportant, à chaque fois des éléments de l’histoire.
En effet, dans cette situation, et cela arrive fréquemment, l’AS n’a pas le monopole de l’écoute de l’élève et de sa famille. Ici, il est très clair que les éléments apportés par les parents ont été fait ailleurs : prés du principal, de la CPE. L’enfant a été vu à plusieurs reprise par la vie scolaire, l’infirmière, les enseignants, bien avant de me rencontrer.
Ainsi le Principal, qui a reçu déjà longuement la mère,  a longuement repris son discours, sur ses difficultés personnelles et professionnelles, son isolement, son manque d’argent. Il la décrit  comme une femme « démunie », « qui ne sait pas que faire avec son fils » et qui, de toute façon, « n’a pas d’argent pour s’en occuper. »
La mère occupe également beaucoup de place dans le discours de Lucas :  «Je suis bien chez ma mère  Je ne veux surtout pas retourner vivre dans la même région que mon père. »  Il ne supporterait pas de vivre avec son père, car : «  Je suis mieux chez ma mère, je me couche tard, j’ai mes jeux. Elle ne me punit jamais ».
Katogi Mari
Lucas, comme tout adolescent, s’inscrit dans un contexte sociétal particulier. Un jeune se  construit aussi « sur du vide », selon la formule de  Castoriadis[2].  Plus exactement il a besoin de plages de silence, de moment inoccupé,  nécessaires, pour permettre à l’adolescent de penser, de se penser, de réfléchir, d’élaborer. Comme me l’explique Lucas, il est fort « occupé » quand il n’est pas au collège, il est actuellement comblé par des occupations multiples qui ne laissent plus de place à la construction de soi, qui occupent tout l’espace et l’empêchent de se questionner, de réfléchir et surtout d’élaborer des réponses.  En fait, Lucas est il vraiment « construit » de façon satisfaisante, au sens de construction de lui-même ?  Un adolescent  peut être considéré comme un être fragmenté, en recherche de sa propre altérité, singularité, tout en étant  membre d’un groupe, d’une collectivité.  Etre différent parmi ses semblables, tout en appartenant à une communauté de « pareils »  tel est l’étrange paradoxe de l’adolescent. Mais ce paradoxe est bien utile pour décrire sommairement les tensions qui peuvent agiter les adolescents. Notre société actuelle, consumériste, rapide, désaffiliée, renvoie chacun « à cette fragmentation »,  comme  nombre de personnes dans la société actuelle, nous dit avec justesse Charles Taylor[3].

Par extension, cette famille, également fragmentée,  semble avoir du mal à s’identifier elle même comme famille et à identifier l’institution-école comme une communauté. Elle est plus perçue comme une menace, synonyme de séparation .
                                                                                                                A suivre ...


[1] FIZE M., CIPRIANI-CRAUSTE C.,   article Faut-il être pubère et en mal-être pour devenir adolescent,   Le journal des psychologues, juin 2005
[2] CASTORIADIS C., La montée de l’insignifiance, Ed. Points Seuil, 2007, cité par PEDROT P. cours de Droit Comprendre le Droit familial du 26/09/08, D.U. Penser le travail social, Université de Toulon et du Var
[3] TAYLOR C., cité par PEDROT P. cours de Droit Comprendre le Droit familial du 26/09/08,  D.U. Université de Toulon et du Var

23 octobre 2011

Un conte d'automne : Lucas, le garçon hors- pair (s) [Hors père]

Par Martine Assandri

Voici un nouveau "conte" tiré de mon mémoire de D.U. "penser le travail social". Pourquoi Lucas me revient-il aujourd'hui en mémoire ? La saison ? trop facile.  Un adolescent vite croisé et que j'ai perdu de vue ? ce n'est pas le premier, ni le dernier . Une impression de "déjà-vu" dans une situation rencontrée aujourd’hui ? Peut-être ... Je vous livre cette histoire, la partage avec vous. Y trouver des pistes de travail, des hypothèse, matière à penser ? 

chapitre 1.  Première rencontre avec Lucas.

Je ne connais pas encore Lucas, un nouvel élève arrivé ce septembre-là,  mais pourtant, avant même son arrivée au collège, j’en ai déjà une certaine connaissance. Sa venue est en effet attendue et largement commentée par l’équipe d’établissement, qui a déjà reçu le dossier scolaire, fourni, de cet élève.
Son parcours est marqué de ruptures, d’absentéisme, de manques ; l’an passé, en classe de 5°, il a été exclu de son ancien collège de secteur de C. Inscrit dans le nouveau collège de A, il ne s’y est jamais présenté. Il a donc été décidé, après avoir vu sa mère qui se plaignait du trajet,  qu’il irait sur le collège de B ou j’exerce. Collège encore plus éloigné de son domicile habituel.
Lucas arrive donc précédé par son dossier. D’ailleurs, il n’est pas présent le jour de la rentrée. Suite à des relances par la vie scolaire, auprès de la mère  qui le garde habituellement, car les parents sont séparés, il arrive enfin au Collège.

C’est un jeune garçon, qui a 13 ans aujourd’hui, inscrit en classe de 4°.
Je reçois Lucas pour « faire connaissance ». Physiquement Lucas est encore « petit garçon » dans son allure,  même s’il a une taille habituelle chez les 4°. Il paraît ouvert, légèrement timide mais à l’aise. Je lui souhaite la bienvenue, il me semble important que ce jeune garçon se sente accueilli, qu’il soit considéré comme un élève parmi les autres. Dans le même temps, je le considère comme « unique », différencié des autres, avec un parcours particulier. Il parait judicieux, lorsqu’un(e) élève arrive au collège avec une problématique compliquée, d’établir une communication, de l’accueillir, pour permettre éventuellement la mise en place d’une relation plus suivie par la suite.
Lucas parait à l’aise en rentrant dans le bureau, il est même souriant. Il m’explique son arrivée au Collège, et la raison de son entrée tardive.

« Je suis arrivé plus tard que les autres ici, parce que j’habite loin, et en plus je ne voulais pas être ici. Mon collège c’est celui de C., où j’étais bien. Je ne voulais pas venir.
-     J’ai eu un conseil de discipline. , j’embêtai les profs,  quoi, rien de bien méchant (il rit).
-          Ben je rigolais, les profs c’était mes copains ! En plus au début ils ne me disaient rien …
-          Je ne comprends pas pourquoi d’un coup ils m’en ont voulu. Je pense que c’est à cause du CPE.
Il s’exprime facilement mais parfois, lorsqu’il semble sous le coup d’une vive émotion, il s’interrompt,  puis reprend son discours.
-          M. B (le CPE)…, celui là je l’ai vraiment fait tourner en bourrique ! D’ailleurs Madame, vous ne savez pas s’il est parti de là bas (de son collège de secteur) ? Car au moins je pourrais y retourner ! »
Sur ses relations, ses amis, les adultes qu’il a pu rencontrer, cela reste relativement flou.  Il avait des amis à C. C’est d’ailleurs son projet d’y retourner. Il me demande si le chef d’établissement et le CPE ont changé car « si ils y sont encore, je suis grillé ». Au collège de A, où il est passé quelques jours, aucun souvenir, « de toute façon je ne pouvais pas y aller, je ratais le car ».


                                                                                                     A suivre ...


13 septembre 2011

La pauvreté, une réalité difficile à voir

montage : Carlo Van Der Roer
La France compte entre 4,5 et 8,2 millions de pauvres selon la définition adoptée... Depuis 2002, la pauvreté augmente.

L’état des lieux en France  (source : Observatoire des inégalités) : 

La France comptait 4,5 millions de pauvres en 2009 si l’on fixe le seuil de pauvreté à 50 % du niveau de vie médian et 8,2 millions de pauvres en 2009 si l’on utilise le seuil de 60 % du niveau de vie médian (voir le calcul ici ). Dans le premier cas, le taux de pauvreté est de 7,5 %, dans le second de 13,5 %.
Un individu peut être considéré comme "pauvre" quand ses revenus mensuels sont inférieurs à 795 euros ou 954 euros selon la définition adoptée...

10 juillet 2011

L'analyse des pratiques, un outil déterminant pour les travailleurs sociaux

Par Martine Assandri 
Suite à la dernière rencontre du CRAF , où les partenaires du C.G. des Hautes-Alpes ont été invités à l'initiative d' Hélène, il a été question du fonctionnement du dit-CRAF, bien sûr, et de sa mise en place sur la zone Nord du département ... Les 3 piliers du CRAF (centre de ressources et accompagnement des familles) étaient , rappelons -le, la supervision, l’orientation des familles auprès des thérapeutes familiaux et la formation.



Les enjeux ont changés, les attentes de l'institution et des professionnels aussi. Pour moi, le besoin, l'envie, la nécessité restent - fortement - tournés sur la ( re)mise en place de supervision de travailleurs sociaux. Celles proposées par le CRAF jusqu'en 2008/2008, étaient  inter-institutionnelles, menés par des superviseurs trés différents dans leur approche ( psychologues cliniciens , psychanalystes) venus d'horizons divers (Pierre Benghozy, Catherine Mehu, Marie-Christine Manuel, j'en oublie)... Ce fut , à mon sens, une expérience extrêmement enrichissante, qui m'a mené au cœur du travail social, des enjeux et du formidable relationnel s’installant entre le te professionnel et l'usager ... En fait, et aussi bien sûr,  la question du transfert

Mais les autres travailleurs sociaux n'ont pas forcément la même attente, ni le même besoin, ce qui n'en est pas d’ailleurs moins intéressant. Cela s'ancre plus,  dans la volonté de connaitre  la prise en charge effective des familles, lors des entretiens familiaux. Cela passe, pour mes collègues, par la connaissance de ce qui est proposé lors de ces prise en charge et leur attente (très forte) de retours de la part des thérapeutes pour "avancer " avec les familles. C'est du moins ce que j'en ai compris.

Du coup, me voilà confrontée à ce "manque" d'analyse des pratiques et je partage avec vous le lien que m'a envoyé ERES, éditeur d'ouvrages remarquables. Leur revue n°11  (voir le sommaire) m'a paru poser certaines questions que je tente d'approfondir et de partager avec d'autres...

"Au cours de la dernière décennie, les groupes d'analyse des pratiques se sont multipliés dans de nombreux domaines de la vie professionnelle (secteur médico-social, enseignement, consultation...) tout en s'appuyant sur des références théoriques, des dispositifs et des cadres méthodologiques plus variés qu'il n'y paraît au premier abord (groupes de psychosociologie clinique, groupes Balint, groupes de « soutien au soutien » de Lévine, groupes d'analyse de problèmes inspirés de Palmade...).

Cet ouvrage rend compte de cette diversité en présentant les orientations de praticiens se réclamant d'une posture clinique, les « objets » sur lesquels ils travaillent, les finalités qu'ils poursuivent, la façon dont ils pensent et conduisent l'animation de ces groupes d'analyse des pratiques. Sensible aux contextes comme aux enjeux de toute intervention, l'orientation psychosociologique présentée ici s'efforce de mettre en lumière deux autres types de questionnement :

  • le sens que prennent les différentes approches dans les contextes institutionnels et sociaux actuels
  • la demande sociale et ses significations.

Enfin sont explorés l'offre et le mode d'engagement des praticiens, les difficultés auxquelles ils sont confrontés, ainsi que les perspectives de renouvellement des dispositifs d'analyse et d'échanges."


Pour en savoir +, vous pouvez allez sur ce lien 
ou ceux qui peuvent aller au colloque, c'est là


les oeuvres sont de Cy Twonbly

Je vous souhaite une  bonne lecture et  à tous, amis blogueurs, un bel été ...

19 juin 2011

COMPRENDRE pour AGIR

La RECHERCHE comme OUTIL de TRANSFORMATION SOCIALE

Par Michèle BERTHIER et Katherine NOTO
Article synthétisant brièvement l’allocution de Henri PASCAL, sociologue et administrateur du Collège Coopératif Provence Alpes Méditerranée, qui nous dresse un historique de la recherche en intervention sociale et analyse les enjeux et les problématiques actuelles.

dessin tiré d'un article de "Lien social"

A l’origine, la recherche est essentiellement constituée d’enquêtes effectuées par des hommes détenant le Savoir et, à coté, le travail social pratiqué par des femmes « sur le terrain ».
Ainsi, « les hommes pensaient et les femmes agissaient. »
Avant 1914, les 1ères écoles en travail social sont ouvertes pour les femmes mais ne permettent pas la délivrance de diplôme, ainsi pas de légitimité c’est-à-dire ne donnant pas droit à la parole, ni de représentativité politique.
Plus tard, c’est par la sociologie que sont développées quelques théories explicatives permettant d’élaborer des méthodologies d’intervention.
Exemple : l’école sociologique de Chicago qui est un courant de pensées sociologique américain apparu au début du XXe s. dans le département de l’Université de Chicago, crée en 1892 et qui est le 1er département de sociologie au monde. Jane ADDAMS (1860 – 1935) a été pionnière dans ce domaine de la sociologie.
Mais, c’est le champ du travail social qui est le lieu de vérification des théories élaborées par les sociologues.
1938 1er diplôme d’Assistante sociale
La recherche s’inscrit dans le domaine universitaire, or les études de travailleurs sociaux s’effectuent en écoles spécialisées et, de ce fait, hors du secteur universitaire. Cette situation pose alors la question de la légitimité de la recherche en travail social.
Le travail social peut-il faire l’objet d’une recherche et où se situerait-elle ?
A ce moment-là, l’institution ne pourrait-elle pas être porteuse de recherche ?
Il aura fallu attendre de dépasser le découpage canonique de la recherche universitaire avec notamment l’émergence de Sciences de l’Éducation, qui ont la caractéristique de ne pas être mono-disciplinaire, tout comme les Sciences Politiques.
Alors, pourquoi ne pas parler des Sciences du Travail Social ?
En 1980, arrive enfin la création du Diplôme Universitaire de Travail Social sanctionné par un mémoire de recherche, reconnu bien que n’étant pas effectué dans un cadre universitaire.
A cette période, nous assistons à l’émergence des sciences sociales qui sont surtout une expertise du terrain social (ce qui se passe) et qui sert à l’élaboration des politiques d’intervention sociale : COMPRENDRE pour AGIR.
La mise en place de mémoires validant la formation introduit la notion de pré-recherche dans le domaine des sciences sociales.
En novembre 1997, le fond social européen agrée un projet intitulé : « Étude en vue de la création de doctorat en travail social, » présenté par l’ ETSUP, en partenariat avec le comité de liaison des centres de formation supérieure et permanent en Travail Social et associé à des responsables d’universités. Cette étude a montré une extrême diversité des enjeux de la création de ces diplômes, des réponses institutionnelles mises en oeuvre et des stratégies disciplinaires adoptées.
2000 Doctorat en travail social
Avec la création du doctorat en travail social, la recherche en travail social peut être légitimée.
La mise en place de la chaire de travail social au Conservatoire National des Arts et Métiers, vient bousculer le paysage institutionnel de la formation supérieure. Il s’agit toutefois d’une « création hybride » entre l’université et le monde du travail.
Depuis les années 2000, dans toute l’Union Européenne et même dans le monde, il existe des études permettant la licence jusqu’au doctorat en travail social, sauf en France.
L’Association Nationale des Assistants de Service Social défend activement l’implication des travailleurs sociaux dans leur formation. Il y a actuellement une mobilisation pour la reconnaissance des diplômes d’assistant de service social à BAC +3. (Il y a 3 années de formation professionnelle supérieure avec un temps de cours et de travail personnel égal ou supérieur à celui demandé en université pour une licence.)
Aujourd’hui, il y a beaucoup d’enjeux autour de la recherche dont l’une des caractéristiques est qu’elle est productive de la connaissance et de la transformation de l’action sociale.
Elle mobilise aussi plusieurs niveaux de la réalité sociale (personnes, structures institutionnelles, communautés de résidence,…) mais aussi plusieurs disciplines telles que la psychologie, la sociologie, le droit.
Aujourd'hui, Penser pour agir.
Une caractéristique fondamentale est que le chercheur est impliqué dans sa recherche, responsable de l’action et en formation, simultanément.
Le chercheur contribue à construire une professionnalité c’est-à-dire produire un savoir sur son action.
Est-ce que l’acteur social est en capacité de dire l’action sociale ou essaye-t-il de construire une vision de la réalité pour donner des pistes d’intervention ?
Un autre enjeu est de construire des outils c’est-à-dire travailler sur les méthodologies utilisées.
« Comment j’agis ? »
Ainsi, la recherche permet aussi de construire une parole publique.
Les institutions-employeurs disposent de salariés en capacité de produire de la recherche.
Alors pourquoi chercher des experts ? De ce point de vue, il semble intéressant de faire connaître la recherche en travail social.
Promouvoir la recherche est indispensable dans l’avancée de la profession des travailleurs sociaux.
La recherche, la formation favorise le développement du professionnel et en même temps, elle va s’intéresser à cette transformation, réinterrogeant sans cesse la pratique.
création Zazzle

06 juin 2011

Le CRAF est (presque) mort ... Vive le CPCT !



J' ai reçu cette info, que je trouve intéressante, et qui m'a aussi interpellé...
Cela comble un vide laissé par le CRAF, depuis deux ans.
Un colloque est organisé pour présenter une nouvelle proposition d'accompagnement et de soin :


le VENDREDI 24 JUIN 2011
14H à 19H
CONSEIL GÉNÉRAL
Place saint Arnoux 05000 GAP.

Colloque PRÉCARITÉ PSYCHIQUE ET LIEN SOCIAL

Ouverture à 14H15 Accueil

15H-30-17H15 Recevoir au CPCT : Quel traitement au CPCT Gap ?

Les intervenants du CPCT tenteront de répondre à cette question en abordant les particularités du traitement au CPCT.

17H30- 18H45
: TABLE RONDE autour du thème du Colloque:
Précarité psychique et lien social


Avec la participations d’associations régionales:
UNAFAM-ISATIS-CODES 05-MAISON DES SOLIDARITES-MDPH-CAC-CSM- UDAF-GEM PASSE MURAILLE

Entrée libre

Renseignements: e-mail : bruno.miani@sfr.fr

Cela ressemble (dans la démarche) tellement au CRAF... Mais ça ne l'est pas (ou plus) ! Y -a-t-il eu les résonances, des liens entre ces différents intervenants ?
Les travailleurs sociaux (on parle là encore de " lien social") qui avaient tenté cette ouverture et ce questionnement n'ont pas su (ou pu, ou voulu ) prolonger l'expérience du CRAF et la faire vivre.

En tout cas, si ce lieu existe, tant mieux (mais CPCT quel vilain nom... ;) ) ! Il reprend le constat, les propositions, le fonctionnement amenés par les intervenants du champ social et médico social, les formateurs, les superviseurs, lors de" l'ébullition CRAF"... Mais il est désormais clairement piloté par des psychanalystes, les soignants.

Le financement reste notamment le CG, mais n'évoque pas d'entretiens familiaux ni la supervision des travailleurs sociaux, qui était un élément fondamental dans la créativité, l'éthique et le questionnement du CRAF... et dans l'intérêt des usagers.
Les questions du partenariat, de l'orientation par divers services restent également posées...

Alors, c'est sûr, l'existence de ce centre comblera certainement un vide laissé par la psychiatrie, faute de moyens et de personnels et comblera des attentes, tant des personnels que des usagers. On peut juste regretter que le CPCT et le CRAF n'aient pas eu de démarches communes, des propositions conjointes, voire un fonctionnement hybride qui aurait paru tellement plus riche ...

25 mai 2011

Des nouvelles du CRAF ...


Par Hélène Mimenza
coordinatrice du CRAF
Dans le cadre du schéma de l' enfance et de la famille la piste de l'ouverture du CRAF des Hautes Alpes a été explorée sur plusieurs niveaux.

Aujourd’hui nous lançons une première rencontre de débriefing, personnel du Conseil Général et partenaires autour des besoins , des envies.. sur le projet de créer une antenne de thérapie familiale sur Briançon.

Dans un deuxième temps nous constituerons un groupe projet.

Cette rencontre est prévue le vendredi 24 juin à 9h30 à l'Argentière la Bessée, si cette initiative vous intéresse faites vous connaître auprès de Nathalie Hollande (psychologue sur l'agence nord) ou Dominique Benoit (chef de l'agence nord).
Si dans votre réseau des personnes sont intéressées sur cette première réunion n'hésitez pas à leur faire passer l'information.

Si vous souhaitez en échanger vous pouvez joindre Hélène Mimenza par mél ou sur le portable du craf 0608329633.

23 mai 2011

L'ANAS : Réactions sur le débat de "Ce soir au jamais"

cliquez sur l'image pour voir l'émission
Les travailleurs sociaux ont vivement réagi au débat mené dans l'émission de France3 du mercredi 11 mai 2011 . Il faut dire que cela faisait beaucoup, suite aux propos du ministre L. WAUQUIEZ qui a jeté un pavé dans la mare en proposant de plafonner des revenus de l’assistance à 75 % du SMIC ou de demander aux bénéficiaires du RSA des heures « d’intérêt général »...Certains invités sur le plateau ont enfoncé le clou comme l’économiste Michel GODET.

Pour certains, et c'est ce que dénonce l'ANAS dans son communiqué  les travailleurs sociaux sont « des gens qui au nom de faire le bien entretiennent finalement ce qui les fait vivre. » Cette accusation grave est
illustrée par M. GODET par l’affirmation suivante : « J’ai regardé l’histoire des SDF, les travaux
de Julien Darmon, 40 % d’entre eux sont issus de la DDASS, c’est un problème d’histoire familiale, pas de société…». 
Il revient à la charge plus loin : « Vous savez combien coûte chaque SDF à la collectivité ? 70 à 90 euros par jour. C’est pas qu’on met pas beaucoup d’argent là-dedans mais vous savez où va cet argent ?
Il va à entretenir les 10 000 travailleurs sociaux qui s’en occupent pour réparer les brancardiers et les brancards (?!? …) je préfère qu’ils soient payés à les accompagner individuellement plutôt qu’ils changent les tentes sur les places de Paris. ».

Dans son communiqué, l'ANAS précise "Nous pouvons rassurer Michel GODET : Comme il n’y a pas assez de professionnels pour accompagner de façon adaptée l’ensemble des personnes en difficulté nous pouvons affirmer sans crainte que c’est bien le système économique et politique qui produit et produira pour longtemps encore des « exclus ». Nous travaillons pour que les personnes que nous rencontrons aillent mieux après notre intervention qu’avant et quand nous réussissons nous nous en
félicitons. Quant à la captation des sommes mises dans le social pour « l’entretien » des travailleurs
sociaux qui ne font que du curatif, voilà qui montre une méconnaissance de ce qu’est le travail social, ce qu’est la prévention secondaire par exemple ou encore l’accompagnement à l’autonomie."

Ill. par Charb

Dans un contexte où les attaques contre les personnes en situation de précarité et, maintenant les travailleurs sociaux, se multiplient, L'ANAS travaille à un texte plus étayé et approfondi sur ce qu'est ou n'est pas  l'assistanat, et sur la question du travail social.
Pour en savoir plus allez sur le site de l'ANAS...(clic!)