En 15 jours, la vie scolaire a
été interpellée sur plusieurs
faits : sorties sans autorisation répétées, refus de manger à la cantine,
pas de travail fourni, manque de matériel.
Puis sur des incidents : Lucas fume
dans la cour de la récréation, devant la vie scolaire. Il sera exclu une
semaine, celle d’ailleurs durant laquelle on devait se voir. Nouvelle exclusion
après une sortie sans autorisation, d’où il revient alcoolisé. Les incidents de vie scolaires, les
mises en acte d’un certain malaise de Lucas apparaissent aux yeux de tous mais
rend tous les acteurs institutionnels comme impuissants. Punitions, exclusions se succèdent,
sans réelle incidence sur l’amélioration du comportement et l’adaptation de l’adolescent au collège.
Photo du film "Paranoïd Park" de Gus Van Sant |
Nous pouvons, avec l’aide de R. CAIN, replacer ces actes dans une certaine «logique» , lui donner du sens, ainsi : « …, pour la psychanalyse, l'adolescence, s'inscrit dans le registre de l'après-coup autour duquel s'organise toute la problématique puisque permettant, au niveau préconscient, la mise en forme, la mise en sens des désirs et des conflits infantiles fondamentaux jusqu'alors demeurés latents et qui constituent la matière même du travail analytique comme de la compréhension de la clinique.»[1]
Lucas cherche à grandir, à se séparer
de ses parents mais cela va au-delà de la particularité de la situation. Il y a comme une impossibilité de quitter le
giron familial, une remise en cause de la « loi du père » qui permet
la séparation. Comme son père s’avère en difficulté pour défaire ce lien - et
même le favorise par sa non-implication
- l’Ecole, qui fait tiers, devient à son tour
insupportable. Et Lucas met toute son énergie en œuvre pour mettre en
échec ce positionnement de tiers.
Clairement, les actes posés renvoient
une certaine impuissance à l’institution, et les réponses apportés (exclusion
du Collège), renforcent la difficulté pour cet élève, à investir l’espace
scolaire. Tout comme son impossibilité à se détacher de l’emprise maternelle.
Le Chef d’établissement, qui a reçu l’élève en urgence, suite au vol d’un ordinateur portable en
classe, me demande de le voir dans ce moment de crise.
Comme l’a indiqué la lecture
psychanalytique, la fréquence des actes posés - leur gravité, leurs effets -
donnent à Lucas une certaine place dans l’institution, mais donnent surtout à voir de lui-même et de certaines
difficultés le concernant.
Lors de cet entretien, Lucas arrive,
pâle, me regarde à peine. Il a une attitude tout à fait différente. Il se tient
le ventre, se plaint de vives douleurs. Il aura tout au long de notre
entretien, une attitude tour à tour abattue ou
menaçante, agressive.
« Personne ne pourra m’empêche de partir d’ici » crie-t- il,
tout en s’asseyant face à moi.
Mais devant le silence, à vrai dire un
peu désarçonné de mon coté, il se calme
peu à peu.
Il
raconte sa vision des faits. Poussé, encouragé par ses camarades, il a prouvé
qu’il était « capable de
voler ». Mais ce ne sont pas vraiment des copains, ajoute -t-il. « Copains, enfin si on peut dire… Je sais qu’ils se
foutent de moi… Mais en fait, c’est moi
qui me fous d’eux… On me dit « t’es pas cap », et ben ils ont
vu… ». Il décrit là une situation où il n’a pas de prise, comme s’il
était un pantin, un objet facilement manipulable.
Ses relations avec les autres de son
âge, ses pairs, s’avèrent difficiles, conflictuelles parfois. « Je n’ai pas d’amis, enfin pas de
vrais amis. ».
Lucas explique son isolement, sa
difficulté à entretenir des relations suivies avec des camarades. Mais
ici, il avait repéré de jeunes gens de son village, plus
âgés (car ils sont déjà au lycée) qui, sans être des amis proches, sont des
connaissances qui le rassurent. C’est d’ailleurs avec eux qu’il s’était
alcoolisé la dernière fois. Mais il ne sait avec qui rester dans la cour, dans
sa classe. Il ne sait pas comment se positionner pour être accepté.
Lucas
a du mal à expliquer son geste. Ce qu’il veut c’est « rentrer chez moi », « je ne veux pas rester
ici ». « Je ne suis pas bien, j’ai mal au ventre » et il est
visible qu’il souffre, il se crispe par moments, en proie semble-t- il à
d’importantes douleurs.
Photo du film "Paranoïd Park" de Gus Van Sant |
Ce
passage à l’acte illustre la difficulté de cet adolescent à formaliser son
angoisse. Le fait d’en parler avec lui
peut l’éclairer lui-même sur les enjeux et la possibilité de sortir de ce
fonctionnement. Sa difficulté psychique à s’individualiser, à l’énoncer se
traduit plutôt dans un mal-être visible, dans ce mal au ventre, ces douleurs.
Ces répétitions, ce malaise de l’adolescent, sont perceptibles, il
s’agit de les accueillir et de les interroger. Les actes empêchent à sa parole
d’émerger, de s’élaborer plus avant. En s’appuyant sur cela, peut être est il
possible d’élaborer avec l’élève, pour essayer de comprendre ce qu’il emmène
avec lui dans cet espace, quelque chose de sa vie personnelle, de sa vie
psychique « ou, en tout cas, pour
éclairer l'analyste sur ce qui se joue vraiment là dans l'interrelation»[2].
2 commentaires:
joli blog,bon travail
bon continuation
Cela fait plaisir de savoir que des amis marocains lisent ce blog ;) merci beaucoup !
Enregistrer un commentaire