05 janvier 2012

Un conte d hiver, Lucas ... chapitre 2 : La crise.

Par Martine Assandri 


En 15 jours, la vie scolaire a été  interpellée sur plusieurs faits : sorties sans autorisation répétées, refus de manger à la cantine, pas de travail fourni, manque de matériel.
Puis sur des incidents : Lucas fume dans la cour de la récréation, devant la vie scolaire. Il sera exclu une semaine, celle d’ailleurs durant laquelle on devait se voir. Nouvelle exclusion après une sortie sans autorisation, d’où il revient alcoolisé. Les incidents de vie scolaires, les mises en acte d’un certain malaise de Lucas apparaissent aux yeux de tous mais rend tous les acteurs institutionnels comme impuissants. Punitions, exclusions se succèdent, sans réelle incidence sur l’amélioration du comportement  et l’adaptation de l’adolescent au collège. 

Photo du film "Paranoïd Park" de Gus Van Sant

Nous pouvons, avec l’aide de R. CAIN, replacer ces actes dans une certaine «logique» , lui donner du sens, ainsi : « …, pour la psychanalyse, l'adolescence, s'inscrit dans le registre de l'après-coup autour duquel s'organise toute la problématique puisque permettant, au niveau préconscient, la mise en forme, la mise en sens des désirs et des conflits infantiles fondamentaux jusqu'alors demeurés latents et qui constituent la matière même du travail analytique comme de la compréhension de la clinique.»[1]
 
Lucas cherche à grandir, à se séparer de ses parents mais cela va au-delà de la particularité de la situation.  Il y a comme une impossibilité de quitter le giron familial, une remise en cause de la « loi du père » qui permet la séparation. Comme son père s’avère en difficulté pour défaire ce lien - et même  le favorise par sa non-implication - l’Ecole, qui fait tiers, devient à son tour  insupportable. Et Lucas met toute son énergie en œuvre pour mettre en échec ce positionnement de tiers.
Clairement, les actes posés renvoient une certaine impuissance à l’institution, et les réponses apportés (exclusion du Collège), renforcent la difficulté pour cet élève, à investir l’espace scolaire. Tout comme son impossibilité à se détacher de l’emprise maternelle.
Le Chef d’établissement, qui  a reçu l’élève en urgence,  suite au vol d’un ordinateur portable en classe, me demande de le voir dans ce moment de crise.
Comme l’a indiqué la lecture psychanalytique, la fréquence des actes posés - leur gravité, leurs effets - donnent à Lucas une certaine place dans l’institution, mais donnent  surtout à voir de lui-même et de certaines difficultés le concernant.

Lors de cet entretien, Lucas arrive, pâle, me regarde à peine. Il a une attitude tout à fait différente. Il se tient le ventre, se plaint de vives douleurs. Il aura tout au long de notre entretien, une attitude tour à tour abattue ou  menaçante, agressive. « Personne ne pourra m’empêche de partir d’ici » crie-t- il, tout  en s’asseyant face à moi.
Mais devant le silence, à vrai dire un peu désarçonné de mon coté,  il se calme peu à peu.
Il raconte sa vision des faits. Poussé, encouragé par ses camarades, il a prouvé qu’il était « capable de voler ». Mais ce ne sont pas vraiment des copains, ajoute -t-il.  « Copains,  enfin si on peut dire… Je sais qu’ils se foutent de moi… Mais en fait, c’est  moi qui me fous d’eux… On me dit «  t’es pas cap », et ben ils ont vu… ». Il décrit là une situation où il n’a pas de prise, comme s’il était un pantin, un objet facilement manipulable.
Ses relations avec les autres de son âge, ses pairs, s’avèrent difficiles, conflictuelles parfois. « Je n’ai pas d’amis, enfin pas de vrais amis. ».
Lucas explique son isolement, sa difficulté à entretenir des relations suivies avec des camarades. Mais ici,  il avait  repéré de jeunes gens de son village, plus âgés (car ils sont déjà au lycée) qui, sans être des amis proches, sont des connaissances qui le rassurent. C’est d’ailleurs avec eux qu’il s’était alcoolisé la dernière fois. Mais il ne sait avec qui rester dans la cour, dans sa classe. Il ne sait pas comment se positionner pour être accepté.
Lucas a du mal à expliquer son geste. Ce qu’il veut c’est « rentrer chez moi », « je ne veux pas rester ici ». « Je ne suis pas bien, j’ai mal au ventre » et il est visible qu’il souffre, il se crispe par moments, en proie semble-t- il à d’importantes douleurs.
Photo du film "Paranoïd Park" de Gus Van Sant

Ce passage à l’acte illustre la difficulté de cet adolescent à formaliser son angoisse.  Le fait d’en parler avec lui peut l’éclairer lui-même sur les enjeux et la possibilité de sortir de ce fonctionnement. Sa difficulté psychique à s’individualiser, à l’énoncer se traduit plutôt dans un mal-être visible, dans ce mal au ventre, ces douleurs.
Ces répétitions, ce malaise de l’adolescent, sont perceptibles, il s’agit de les accueillir et de les interroger. Les actes empêchent à sa parole d’émerger, de s’élaborer plus avant. En s’appuyant sur cela, peut être est il possible d’élaborer avec l’élève, pour essayer de comprendre ce qu’il emmène avec lui dans cet espace, quelque chose de sa vie personnelle, de sa vie psychique « ou, en tout cas, pour éclairer l'analyste sur ce qui se joue vraiment là dans l'interrelation»[2].

[1] CAIN R., article dans Psychanalyse et adolescence : Les enjeux de l'adolescence, point de vue psychanalytique, publié sur le site de la société psychanalytique de Paris, http://www.spp.asso.fr  

[2]  Ibid                                                     A Suivre ...

 

Le blog "Penser Social" vous souhaite une belle année 2012 ...

 

2 commentaires:

emploi maroc a dit…

joli blog,bon travail
bon continuation

Martine Assandri a dit…

Cela fait plaisir de savoir que des amis marocains lisent ce blog ;) merci beaucoup !