Le retour en classe de Lucas le confronte à une certaine réalité, à un rapport aux autres, adultes et adolescents. Certes, il évoque ses difficultés scolaires d’abord : « Je m’ennuie en cours, je n’écoute pas ». Il explique qu’il pense pouvoir facilement suivre les cours, comme sa mère le dit souvent et d’ailleurs ses bulletins n’évoquent pas des difficultés de compréhension, mais bien un désintérêt manifeste pour les matières enseignées. En effet comment suivre quand on n’a plus de aucune matière enseignée depuis des semaines, quand on n’arrive sans affaires pour noter…
Il
ne se saisit pas de ce lieu comme un espace d’apprentissage scolaire.
Mais il se l’approprie différemment.
S’il
prétend n’en percevoir que la contrainte, punitions, horaires, devoirs… il
évoque aussi le rôle de contrainte de
l’école sur ses parents et sa mère en particulier, à laquelle est reprochée son
« incapacité » à scolariser correctement Lucas, à enrayer son
comportement inadapté.
'Balancing your business' par Nate Williams |
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Mon père … Il me dit des trucs et puis
souvent je vais chez lui, quand je ne vais plus au collège … Je bricole, je
reste dans sa maison … Ca se passe bien mais après je retourne chez ma mère et
puis au collège … »
Sur
la réaction de son père suite aux incidents multiples, à la déscolarisation,
Lucas le décrit comme un allié, quelqu’un qui le défend contre un système vécu
comme injuste, inadapté.
-
Il me soutient ? Non, enfin
oui, mon père crie un peu… Mais en fait,
il est d’accord avec moi ! D’ailleurs il l’a dit, à mon ancien collège, que j’avais
raison ! »
Il revient sur le conseil de
discipline qui a prononcé son exclusion. La 5°, a été une année beaucoup plus
difficile. C’est à ce moment que les conflits se sont multipliés et ont pris de l’ampleur. Les
sanctions tombaient, les profs « n’en
pouvaient plus ». Il reconnait volontiers, peut être même avec une
certaine fierté, son comportement, sa mise en échec de l’institution à avoir pu
le cadrer. Pourtant il a dû partir, alors qu’il regrette cet ancien collège et
en parle de façon positive. Il se met d’ailleurs en colère concernant le
conseil de discipline :
-
« C’est une merde ce
truc ! C’est la faute du conseiller d’éducation qui
le « jette dehors alors qu’il n’a
pas le droit ! » Il impute la raison de son exclusion a un
conflit entre le CPE et lui, et à la réflexion, avec la principale du collège,
et conclue que « tant qu’ils y seront, je serai grillé. ». Et il est
conforté dans cette vision par son père, qui est venu le jour du conseil de
discipline pour la première fois, au collège. « Mon père a pris un
avocat ! Il m’a dit que ce n’était pas juste ! » Il parle
avec fierté de son père, venu défier l’institution, qui a haussé le ton, menacé
de poursuites etc. …
-
ils n’avaient pas le droit de me
faire partir !
(il s’agite sur sa chaise, il semble énervé ;
mais ce n’est pas fini vous savez … Mon père, il m’a dit que c’était pas normal
…
Il
n’habite pas avec moi, mais il est venu ce jour là au collège. Il leur a dit sa
façon de penser (il rit) ».
L’équipe
éducative de C a appris ce jour là que Lucas avait un père et qu’il pouvait se
déplacer ! Mais malgré cela, « ils n’ont pas voulu me garder. »
conclue- t-il.
Chez lui, dans son quotidien, il a l’impression de pouvoir maitriser les
choses. Ainsi « je choisis mon heure
de coucher et de sortie. Chez mon père, je suis moins libre ! Mais il est
gentil mon père aussi, il ne me gronde pas pour rien, et si il y a une
punition, ca ne dure pas. ». Lucas semble dans une place de toute puissance que lui
donnerait, du moins c’est ce qu’il explique, constamment sa mère, mais aussi
son père. Il « choisit » de ne
pas venir à l’école et de rester sur son ordinateur. Il « choisit »
de ne pas prendre son car, car cela est trop fatigant. Il choisit de ne pas
travailler car de toute façon, il est injuste qu’il se retrouve à B contre son
gré … Le choix laissé à Lucas paraît
énorme, sans limites : en cela, il peut être vécu par Lucas comme
terrorisant. En effet, personne par définition « immature » au sens
que l’entend Winnicott, il semble être « Le
roi du château », comme dans ce jeu « de la première période de latence qui, à la puberté, se
transforme en une situation de vie, une affirmation d’être en tant que
personne »[1]
où l’enfant s’imagine tout puissant.
Imaginove |
Lucas émerge de l’enfance de « façon gauche et désordonnée »[2].
La croissance remarque Winnicott, n’est pas seulement lié au biologique, mais
est inextricablement mêlée à un environnement facilitant. L’environnement
familial de Lucas est-il facilitant dans ce positionnement de retrait, de
laisser-faire, tout en étant décrit comme rempli d’amour et d’affection ?
Il ne manifeste pas d’animosité envers ses parents, ni d’agressivité. Sa
rébellion, il l’exerce au collège, il donne à voir dans cette institution,
quelque chose de lui-même. Ce symptôme a certainement un sens, comme tout
symptôme. Peut-on émettre l’hypothèse que dans l’impossibilité psychique de
remettre en cause la relation parentale, le conflit avec l’école devient
l’élément émergeant de cette impossibilité ? Une façon, aussi peut-être de
supporter cette situation ?
A suivre ...
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