03 décembre 2011

Lucas (2), un garçon hors pair(s) ... suite chapitre 1

 Par Martine Assandri 


Le retour en classe de Lucas le confronte à une certaine réalité, à un rapport aux autres, adultes et adolescents. Certes, il évoque ses difficultés scolaires d’abord : « Je m’ennuie en cours, je n’écoute pas ». Il explique qu’il pense pouvoir facilement suivre les cours, comme sa mère le dit souvent et d’ailleurs ses bulletins n’évoquent pas des difficultés de compréhension, mais bien un désintérêt manifeste pour les matières enseignées. En effet comment suivre quand on n’a plus de aucune matière enseignée depuis des semaines, quand on n’arrive sans affaires pour noter…

Il  ne se saisit pas de ce lieu comme un espace d’apprentissage scolaire. Mais il se l’approprie différemment.
S’il prétend n’en percevoir que la contrainte, punitions, horaires, devoirs… il évoque aussi le rôle de  contrainte de l’école sur ses parents et sa mère en particulier, à laquelle est reprochée son « incapacité » à scolariser correctement Lucas, à enrayer son comportement inadapté.
'Balancing your business' par Nate Williams
Lucas provoque par son attitude, apporte un symptôme dans l’école. L’adolescent peut ainsi exposer quelque part ce qu’il ne peut dire à sa mère, à savoir que malgré son affection énorme (ou à cause de cela) leur relation en tête-à-tête devient lourde à porter. La nécessité de s’autonomiser, de se différencier, paraissant difficile pour Lucas, le cadre du Collège l’oblige à évoluer et à questionner l’interrelation mère-fils mais aussi père-fils. En effet, son comportement, le symptôme, attire aussi l’attention, par ricochet, sur la place de son père :

-          Mon père … Il me dit des trucs et puis souvent je vais chez lui, quand je ne vais plus au collège … Je bricole, je reste dans sa maison … Ca se passe bien mais après je retourne chez ma mère et puis au collège … »

Sur la réaction de son père suite aux incidents multiples, à la déscolarisation, Lucas le décrit comme un allié, quelqu’un qui le défend contre un système vécu comme injuste, inadapté.
-          Il me soutient ? Non, enfin oui,  mon père crie un peu… Mais en fait, il est d’accord avec moi ! D’ailleurs il l’a dit,  à mon ancien collège, que j’avais raison ! »

Il revient sur le conseil de discipline qui  a prononcé son exclusion.  La 5°, a été une année beaucoup plus difficile. C’est à ce moment que les conflits se sont  multipliés et ont pris de l’ampleur. Les sanctions tombaient, les profs « n’en pouvaient plus ». Il reconnait volontiers, peut être même avec une certaine fierté, son comportement, sa mise en échec de l’institution à avoir pu le cadrer. Pourtant il a dû partir, alors qu’il regrette cet ancien collège et en parle de façon positive. Il se met d’ailleurs en colère concernant le conseil de discipline :
-          « C’est une merde ce truc !  C’est la faute du conseiller d’éducation qui le « jette dehors alors qu’il n’a pas le droit ! » Il impute la raison de son exclusion a un conflit entre le CPE et lui, et à la réflexion, avec la principale du collège, et conclue que  « tant qu’ils y seront, je serai grillé. ». Et il est conforté dans cette vision par son père, qui est venu le jour du conseil de discipline pour la première fois, au collège. « Mon père  a pris un avocat ! Il m’a dit que ce n’était pas juste ! » Il parle avec fierté de son père, venu défier l’institution, qui a haussé le ton, menacé de poursuites etc. …
-          ils n’avaient pas le droit de me faire partir ! (il s’agite sur sa chaise, il semble énervé ; mais ce n’est pas fini vous savez … Mon père, il m’a dit que c’était pas normal …
Il n’habite pas avec moi, mais il est venu ce jour là au collège. Il leur a dit sa façon de         penser (il rit) ».

L’équipe éducative de C a appris ce jour là que Lucas avait un père et qu’il pouvait se déplacer !  Mais malgré cela, « ils n’ont pas voulu me garder. » conclue- t-il.
Chez lui, dans son quotidien,  il a l’impression de pouvoir maitriser les choses. Ainsi « je choisis mon heure de coucher et de sortie. Chez mon père, je suis moins libre ! Mais il est gentil mon père aussi, il ne me gronde pas pour rien, et si il y a une punition, ca ne dure pas. ». Lucas semble  dans une place de toute puissance que lui donnerait, du moins c’est ce qu’il explique, constamment sa mère, mais aussi son père.  Il « choisit » de ne pas venir à l’école et de rester sur son ordinateur. Il « choisit » de ne pas prendre son car, car cela est trop fatigant. Il choisit de ne pas travailler car de toute façon, il est injuste qu’il se retrouve à B contre son gré  … Le choix laissé à Lucas paraît énorme, sans limites : en cela, il peut être vécu par Lucas comme terrorisant. En effet, personne par définition « immature » au sens que l’entend Winnicott, il semble être « Le roi du château », comme dans ce jeu «  de la première période de latence qui, à la puberté, se transforme en une situation de vie, une affirmation d’être en tant que personne  »[1] où l’enfant s’imagine tout puissant.
Imaginove

Lucas émerge de l’enfance de « façon gauche et désordonnée »[2]. La croissance remarque Winnicott, n’est pas seulement lié au biologique, mais est inextricablement mêlée à un environnement facilitant. L’environnement familial de Lucas est-il facilitant dans ce positionnement de retrait, de laisser-faire, tout en étant décrit comme rempli d’amour et d’affection ? Il ne manifeste pas d’animosité envers ses parents, ni d’agressivité. Sa rébellion, il l’exerce au collège, il donne à voir dans cette institution, quelque chose de lui-même. Ce symptôme a certainement un sens, comme tout symptôme. Peut-on émettre l’hypothèse que dans l’impossibilité psychique de remettre en cause la relation parentale, le conflit avec l’école devient l’élément émergeant de cette impossibilité ? Une façon, aussi peut-être de supporter cette situation ?

                                                                                                         A suivre ...



[1] WINNICOOT D.W., Jeux et réalité , Folio poche, Paris, 2008,  p. 258
[2] Id. p. 257

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