Sa scolarité a été bonne jusqu’au
CM2. Dés son arrivée au collège, il s’est senti mal à l’aise. Cependant la 6°
s’est relativement bien passée malgré un comportement « un peu
agité » précise-t-il. Pourtant, jusqu’au CM2, à la « petite
école », il se sentait bien, il s’entendait bien avec le maître.
Katogi Mari |
« L’entrée au collège marque l’entrée dans l’adolescence. A ce grand changement de contexte extérieur, le départ de la petite école qui marque ainsi symboliquement la fin de l’enfance, intervient un remaniement psychique profond. C’est le moment de l'irruption de la génitalité, sur le plan physique et psychique, qui bouleverse les données du conflit œdipien. Ces nouveaux enjeux entraînent un remaniement des données et des certitudes personnelles de l’individu. ».[1]
L’entrée au Collège a changé le rapport avec les adultes, tant dans l’école qu’à l’extérieur. La place de sa mère, notamment, a dû évoluer.
Je lui demande comment était organisée sa vie à cette époque. En effet, lorsque j’ai consulté sa fiche-élève, apparaît seulement le nom de sa mère. Le père n’est pas mentionné, ni son nom, ni son adresse. Lucas porte le même nom de famille que Mme T.
« Ma mère c’est elle qui vient au collège. Je suis avec elle depuis longtemps, depuis qu’on a déménagé en fait ". La mère et le fils se sont installés dans une vallée isolée du département tandis que le père, M.S. est resté dans autre vallée également très rurale, à l’autre bout du département. Il précise d’ailleurs qu’il vit avec sa mère depuis tout petit, que d’ailleurs il n’aimerait pas revenir vivre dans le village où vit son père, « Holala non ! ».
Pourquoi cela ? « Parce que c’est ma mère qui s’occupe
de moi. Mon père, je le vois de temps en temps, mais ca suffit. »
Ce « mais ça suffit » a
semble t il été pris au pied de la lettre par les divers adultes de l’école qui
ont croisé Lucas. En fait, il semble que l’institution se soit toujours
contentée de la parole de la mère expliquant qu’elle était seule à éduquer son
enfant. Elle ne peut jamais compter sur M. S. qui, d’ailleurs, a refait sa vie,
même s’il n’a pas d’enfant plus jeune que Lucas.
Je suis moi-même à mon insu, bien
avant de rencontrer Lucas, dans cette image. Beaucoup de personnes m’ont
interpellé le concernant, chacun m’apportant, à chaque fois des éléments de
l’histoire.
En effet, dans cette situation,
et cela arrive fréquemment, l’AS n’a pas le monopole de l’écoute de l’élève et
de sa famille. Ici, il est très clair que les éléments apportés par les parents
ont été fait ailleurs : prés du principal, de la CPE. L’enfant a été vu à
plusieurs reprise par la vie scolaire, l’infirmière, les enseignants, bien
avant de me rencontrer.
Ainsi le Principal, qui a reçu
déjà longuement la mère, a longuement
repris son discours, sur ses difficultés personnelles et professionnelles, son
isolement, son manque d’argent. Il la décrit
comme une femme « démunie »,
« qui ne sait pas que faire avec son fils » et qui, de toute
façon, « n’a pas d’argent pour s’en
occuper. »
La
mère occupe également beaucoup de place dans le discours de Lucas : «Je suis
bien chez ma mère Je ne veux surtout pas retourner vivre dans la même
région que mon père. » Il ne
supporterait pas de vivre avec son père, car : « Je suis mieux chez ma mère, je me couche tard, j’ai mes jeux.
Elle ne me punit jamais ».
Katogi Mari |
Lucas, comme tout adolescent,
s’inscrit dans un contexte sociétal particulier. Un jeune se construit aussi « sur du vide », selon la formule de Castoriadis[2]. Plus exactement il a besoin de plages de
silence, de moment inoccupé,
nécessaires, pour permettre à l’adolescent de penser, de se penser, de
réfléchir, d’élaborer. Comme me l’explique Lucas, il est fort « occupé » quand il n’est pas
au collège, il est actuellement comblé par des occupations multiples qui ne
laissent plus de place à la construction de soi, qui occupent tout l’espace et
l’empêchent de se questionner, de réfléchir et surtout d’élaborer des
réponses. En fait, Lucas est il vraiment
« construit » de façon satisfaisante, au sens de construction de
lui-même ? Un adolescent peut être considéré comme un être fragmenté,
en recherche de sa propre altérité, singularité, tout en étant membre d’un groupe, d’une collectivité. Etre différent parmi ses semblables, tout en
appartenant à une communauté de « pareils » tel est l’étrange paradoxe de l’adolescent.
Mais ce paradoxe est bien utile pour décrire sommairement les tensions qui
peuvent agiter les adolescents. Notre société actuelle, consumériste, rapide,
désaffiliée, renvoie chacun « à
cette fragmentation »,
comme nombre de personnes dans la
société actuelle, nous dit avec justesse Charles Taylor[3].
Par extension, cette famille,
également fragmentée, semble avoir du
mal à s’identifier elle même comme famille et à identifier l’institution-école
comme une communauté. Elle est plus perçue comme une menace, synonyme de
séparation .
A suivre ...
[1]
FIZE M., CIPRIANI-CRAUSTE C.,
article Faut-il être pubère
et en mal-être pour devenir adolescent,
Le journal des psychologues, juin 2005
[2]
CASTORIADIS C., La montée de l’insignifiance, Ed. Points Seuil, 2007, cité
par PEDROT P. cours de Droit Comprendre
le Droit familial du 26/09/08, D.U.
Penser le travail social, Université
de Toulon et du Var
[3] TAYLOR C., cité par PEDROT P. cours de Droit Comprendre le Droit familial du 26/09/08, D.U. Université de Toulon et du Var
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