Nate Williams |
Marceline Gabel dit : « Nous sommes particulièrement reconnaissants aux professionnels qui ont eu le courage de passer de la parole à l’écriture pour décrire leurs difficultés. On a même dit pendant des années aux travailleurs sociaux que non seulement ils ne devaient pas montrer leurs émotions mais qu’il ne fallait pas en parler ! On les renvoyait à leur solitude : « si vous souffrez, c’est que vous êtes un mauvais professionnel ou que vous avez des problèmes personnels.»
Nate Williams |
Cet article a fait écho à mon questionnement sur ce qui a changé dans ma pratique. Pouvoir effectivement passer de la parole à l 'écrit pour témoigner des difficultés rencontrées dans la relation avec l'usager et faire de la recherche permet justement de prendre de la hauteur et de porter un autre regard sur ce qui se joue.
A la question : C ‘est la souffrance des enfants et des parents qui fait souffrir les professionnels ?
Marceline Gabel répond ainsi : « Leur empathie est effectivement une des raisons du bouleversement de ces derniers. En s’identifiant à l’enfant souffrant ou au parent empêché dans sa parentalité, les professionnels – qui ont aussi un inconscient – peuvent également se retrouver empêtrés dans leur propre histoire………… »
Dans toute rencontre avec un travailleur social il y a du transfert et qui fonctionne dans les deux sens. L’usager va projeter sur le travailleur social des bouts de relation infantile et si celui-ci ne le repère pas, il va absorber comme une éponge les angoisses de l’autre et se trouver dans la confusion. Il ne saura plus ce qui est de lui ou de l’autre. Prendre conscience de nos émotions et reconnaître les phénomènes transférentiels met automatiquement de la distance émotionnelle. Cela évite l'épuisement inévitable dans nos professions.
Pour moi, faire de la recherche c'est un peu comme être en entretien clinique c'est à dire ne plus être uniquement dans le faire et l'agir mais arrêter de faire pour comprendre et parler au lieu d'agir.
Parmi les multiples supports théoriques de cette recherche qui ont changé ma pratique, je voudrai donner l'exemple du désir de réparation qui est inhérent à toute pratique sociale. Le désir de réparation repose sur le repérage des différences entre l’autre et soi même et simultanément sur la négation de la nécessité des différences : les écarts entre l’autre et soi même sont perçus comme des manques, des défauts, des handicaps de l’autre par rapport à l’image idéale que chacun a de soi même. Ce phénomène inhérent à toute relation est renforcé dans la situation professionnelle entre le travailleur social et l’usager par le contexte même de la relation. L’usager vient précisément au service social parce que « quelque chose ne va pas » et le rôle du travailleur social est de contribuer à ce que « quelque chose aille mieux ». Ce désir de réparation est encore une façon de nier l’autre dans son identité, dans son existence réelle. Je ne prends pas l’autre dans sa totalité mais j’isole en lui un trait que je refuse pour me l’approprier et le transformer en un autre que j’accepte. D’où ce besoin dans le travail social de classer les usagers en problèmes ou difficultés. Je ne retiens de l’autre que son problème (que j’appellerai sa demande) pour l’annuler, le transformer. Le désir de réparation repose sur l’idée que je peux agir sur l’autre, le transformer, me l’approprier Les travailleurs sociaux glissent souvent sur la pente de « savoir ce qui est bien pour l’autre » et donc de décider à sa place. En effet, nous nous faisons une idée de l’autre en difficultés en fonction de nos propres ressentis. Nous pensons que l’autre est un semblable et qu’il fonctionne comme nous, ce qui peut avoir pour conséquence d’empêcher l’usager d’évoluer et de sortir d’un système d’assistanat. Avoir en tête que seul l'usager sait ce qui est bon pour lui change la relation.
Nate Williams (clic !) |
Pour terminer je dirai que cette recherche aussi bien théorique que d'analyse de situations me permet un positionnement confortable en entretien sans absorber les angoisses de l'usager. Cela permet d'être dans l'écoute sans objectifs en tête et laisse la place à l'imprévu.