Toute l’action de l’AS scolaire consiste, dans cette situation particulière mais que l’on retrouve avec d’autres adolescents, de redonner un sens aux actes posés, de les dépasser pour permettre une lecture autre que celle de l’exclusion, du rejet. Les intervenants du collège sont mobilisables, ils peuvent entendre effectivement les éclairages apportés par le travailleur social. L’apport de la psychanalyse, notamment sur la réactivation du conflit œdipien, donne un sens cohérent à une situation inintelligible, notamment pour l’intervenant, plus difficilement parfois, pour l’adolescent concerné.
Cette prise en compte, le service social va devoir l’articuler, la partager, la rendre accessible aux divers intervenants. Dans la vie de l’établissement, les différents discours se télescopent, se complètent, se contredisent. Il peut se produire un « buzz », du bruit autour de ce qui est dit, qui fait disparaître le sens, ajoute de la confusion.
La reprise de certains éléments auprès de l’équipe, la réinjection de cette complexité familiale qui donne du sens au comportement de l’élève, peut permettre à l’adulte, si ce n’est de comprendre, au moins de percevoir les nuances et d’accepter de modifier son regard sur la situation.
Il peut ainsi passer d’un registre de contenance, plutôt que d’exclusion. Ce positionnement permet au service social d’établissement de sortir d’une logique de réussite, d’adaptation au milieu scolaire à tout prix, même s’il en reste aussi un but à garder en tête, une « injonction institutionnelle » en quelque sorte. Le fait aussi, qu’un tiers puisse intervenir peut « calmer le jeu », faire redescendre la pression, qui s’accumule au fil des incidents et des renvois d’un élève en difficulté.
Installation interactive de Motoshi Chikamori++Kyoko Kunoh |
L’intervenant social scolaire peut donc jouer ce rôle de tiers entre l’école et la famille, mais il sera aussi un tiers dans la relation que vit adolescent avec sa famille. Ici, pour Lucas, le tiers s’avère nécessaire dans ce tête- à- tête quasi permanent avec sa mère, cette relation presque fusionnelle ou le père est absent/présent, mais peu investi dans l’éducation de son fils
Mais ce changement de cadre permet d’opérer un déplacement et d’introduire des notions d’interrelations, d’intersubjectivité école-famille pour parvenir à un retour de l’élève mais aussi au delà, a une prise en compte de l’élève dans toute sa dimension personnelle, affective, familiale, scolaire … bref en tant qu’adolescent dans sa singularité et son altérité. Un « autre » non plus menaçant, insaisissable, à rejeter, mais un autre dans toute sa complexité, ses faiblesses, ses possibilités. Mais cela reste difficile dans un établissement scolaire car « la fréquence des agirs plus ou moins imprévisibles ou redoutables, posent des problèmes techniques, au niveau du cadre comme des modalités de toute intervention, particulièrement embarrassants, voire inextricables »(1) , remettant sans cesse en cause cet objectif.
En replaçant un élève dans sa place d’adolescent à l’histoire singulière, sa prise en compte en tant qu’élève peut, par là-même, être travaillé. En associant les intervenants du collège à la réflexion, en les associant à cette évolution de la perception de la personne dans toute sa complexité, alors seulement, sa place peut être préservée et travaillée au sein de l’établissement.
Pour l’équipe d’établissement, la priorité des rencontres entre élève et A.S. demeure la nécessité d’adapter et de contenir le comportement de cet adolescent dans le fonctionnement de l’établissement. Mais au-delà, il s’agit d’accompagner Lucas dans cette recherche de lui-même. Une certaine réinjection de la parole a pu être apportée et entendue. Cependant, cela ne va pas de soi, cette parole se heurte aussi à des « résistances », à un refus de voir l’élève autrement que comme un gêneur, un inadapté à la vie au collège.
Beaucoup d’adultes, et là dans cette situation, quasiment tous, ont pu réfléchir et entendre cette portée symbolique dans l’agir de Lucas, et le rôle de l’établissement, du milieu éducatif, à jouer. Cette compréhension permet une certaine « humanisation » (2) du milieu scolaire mais aussi favorise et soutient des « relations positives entre éducateurs et enfants » (3) .
Mais malheureusement, ici, le Principal n’a pu ou voulu, entendre cette situation d’adolescent en recherche d’identité, de cadre et de référent, étape dont le collège pourrait jouer un rôle important, au-delà d’un traitement administratif de la situation. Pour lui, les éléments apportés sur la situation ne sont pas faux, mais ils sont impossibles à entendre. D’une certaine manière, l’institution, représentée par le Principal, donne une impression de fermeture, d’impossibilité de changer un scénario déjà écrit.
"Chysanthemum" deTakashi Murakami |
Il est intéressant de constater que, dans cette situation, le « recadrage » même du Principal devait être constant, pour rappeler les procédures, le respect des règles, de l’information de l’élève et de la famille, pour contrer ce sentiment de figer les choses. Car sans cesse, le Principal entérinait avec empressement les départs de Lucas de façon dissimulée, hors cadre légal, évitant soigneusement d’associer les autres intervenants, en prenant seul ses décisions.
Il fallait sans arrêt rappeler le devoir de scolariser cet enfant même si cela s’avérait souvent presque impossible. Curieusement, l’alliance s’est faite entre parents et enfant, pour souligner cette incohérence d’actions, pour remobiliser autour de la question de l’école. Et au-delà, celle des positionnements familiaux.
Lucas est finalement parti du Collège, pour aller dans l’établissement proche du lieu de vie de son père. Même s’il l’a été de façon construite, en rappelant la loi et l’importance de Lucas en tant que personne au-delà de sa qualité d’élève, le début de travail entrepris s’est interrompu et devra se poursuivre ailleurs.
FIN
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(1) CAIN R., Psychanalyse et adolescence : Les enjeux de l'adolescence, point de vue psychanalytique, publié sur le site de la société psychanalytique de Paris, http://www.spp.asso.fr
(2) CIFALI M., IMBERT F., Freud et la pédagogie, PUF, 1998, p. 49
(3) Id.