16 décembre 2010

Un conte d'hiver ... suite Chapitre 1 Justine, Princesse d'aujourd'hui

Ill. Alexandra Petracchi
Coline décrira plusieurs fois l’incident qui l’a bouleversée et qui est, pour elle, à l’origine de tous ses malheurs. Elle repart souvent l’air fatiguée, presque épuisée, et de mon coté, je me sens inquiète, troublée.
Se crée alors un espace entre Coline et moi-même, un espace particulier d'échange et d'élaboration, de co-élaboration.            ...
Pourquoi cet espace est-il possible ? Tout simplement grâce à l’aimant puissant du transfert, ce « lien affectif intense, incontournable et indépendant de tout contexte de réalité »  que j’identifie souvent très tôt, parfois dés la première rencontre, qui s’établit dans toute relation. Il sera ici particulièrement puissant et je peux donc être vigilante à ne pas m’y perdre, mais à l’utiliser comme levier de notre travail commun, sans me laisser envahir par l’angoisse de Coline, qui est fort importante.
...
L’été dernier la famille est partie en vacances, une semaine, chose rare car M. F., le père de Coline, « n’a que très peu de vacances et souvent ne partait pas avec nous ».
Coline a emmené son petit ami, avec qui elle entretenait une relation depuis plusieurs mois, en accord avec ses parents; « un garçon très gentil, mais depuis ces problèmes, c’est fini entre nous » dit-elle émue.
Les premiers jours se sont semble-t-il bien passés, les jeunes sortant beaucoup et profitant des loisirs, les parents faisant de leur coté des activités. Or un soir, en revenant d’une animation très tard Coline se retrouve prise à partie par son père « il me reprochait de ne pas être à l’heure… Il s’est mis à crier … J’ai eu très peur ! Je lui ai répondu que…il m’a secoué, m’a trainé dans la caravane… Il m’a frappé, je me suis retrouvée seule avec lui, personne ne m’aidait… Ma mère tapait à la porte, mais elle n’a pas appelé à l’aide … J’ai eu peur très peur, j’ai cru qu’il allait me tuer… »
(Elle se tient la tête, ses larmes coulent, elle s’interrompt plusieurs fois, se reprend). 
Finalement il a ouvert… Je ne sais plus combien cela a duré … Cela m’a semblé très long, j’étais seule, sans défense …On a plié les affaires, on est reparti dans la nuit même. Depuis cet été, je ne lui adresse plus la parole, je refuse de lui parler. Je dois partir, vous comprenez, je ne veux pas rester avec lui, être dans la même pièce que lui, c’est insupportable. Je veux partir, je l’ai dit à ma mère, qu’on devrait partir ensemble, mais elle refuse …. ».

Ces explications loin d’expliquer la nature même de son angoisse, car après tout, n’est ce pas une dispute, certes violente, mais comme cela se passe fréquemment à l’adolescence ?
D’où vient la source de cette angoisse, si puissante que je sens qu’elle m’envahit à mon tour ? Même en revenant sur cette dispute, rien n’apparait plus que ce qu’elle a décrit précédemment. Sa demande explicite, pour employer un terme systémique, tourne autour d’un départ de son domicile, lié à la peur de son père, décrit comme hostile, presque dangereux. A l’écouter, je pourrais l’imaginer à, mon tour « en danger de mort ». Elle rajoute également qu’elle souffre d’insomnies, d’angoisses, qu’elle ne peut plus travailler « comme avant, ca tourne dans ma tête, je ne pense qu’à cela ».
Elle paraît presque sous le choc, comme si elle avait vécu un événement grave, insupportable. Elle revient plusieurs fois pourtant elle n’arrive pas à exprimer ce qui la bouleverse, lui fait perdre ses repères. Petit à petit, au cours d’autres entretiens, je commence à comprendre enfin que, quoiqu’il se soit passé, cela reste éminemment symbolique. Même si cela est parfois évoqué, ce qui ressort est bien que nous sommes là, elle et moi, au cœur d’une histoire complexe, qui va au delà de ce qui est dit. Quelque chose de fantasmatique peut être, mais d’essentiel. « C’est mon père ou moi » semble dire Coline, et c’est insupportable pour elle, la scène lui a fait revivre un recadrage insupportable, un effondrement de son univers ou sa mère apparaissait toute puissante et son père sans relief, presque inexistant.

Si l’image de « princesse » a été très forte dés le premier entretien avec Coline, mélange à la fois de Blanche Neige et de Belle au bois dormant, la retranscription de cette histoire individuelle et familiale sous forme de conte me permet de mettre à jour l’importance du symbolique, du non dit, de non-réalité et en même temps d’existence confuse. Comme le rêve, le conte s’inscrit dans le préconscient , passerelle entre le conscient et l’inconscient. Il me permettra de « visionner » de rendre un peu plus lisible la nature et l’importance des conflits vécus dans cette famille, qui mettent en péril l’équilibre de Coline et au-delà de sa famille.

Le conte classique nous présente, explique Marthe Robert dans la préface aux "Contes des frères Grimm", un « petit roman familial dont le schéma est pour ainsi dire invariable, le conte permet de se ménager un espace pour la création imaginaire, un espace de compromis entre rêve et réalité… Jamais l’enfance du héros ne se passe pas sans accident …il ne peut grandir normalement ; à peine adolescent il lui faut quitter sa famille et aller, comme dit si joliment le conteur, tenter sa chance dans le vaste monde ».
Il va devenir pour moi, comme pour un enfant qui écoute un conte, « une représentation, un récit de formations et de processus de la réalité psychique » de Coline et me permettre d’entrevoir les enjeux et les difficultés dans cette histoire particulière.

« Il était un fois une très belle reine, qui avait perdu un mari et un jeune fils, qui étaient partis vivre loin d’elle. La Reine se trouva fort triste d’être seule et de ne plus avoir d’enfant à s’occuper. Elle rencontre un jeune Roi qui n’avait pas encore d’enfant, et qui tomba sous le charme mature de la belle reine. De leur union naquit Coline, une très jolie princesse. Dés sa naissance, elle apparut parfaite aux yeux de tous, comme de ses parents, et surtout de la Reine, qui la chérissait par dessus tout.
Pour éviter toutes les difficultés de la vie à sa jeune enfant, et pour éviter tout tracas à son jeune mari qui partait souvent découvrir d’autres territoires, la Reine, qui était un peu sorcière, plongea sa fille dans un rêve enchanté, qui dura longtemps de l’enfance à la puberté. Coline appris ainsi, sans aucune difficulté, ni tracas, l’arithmétique, la littérature, les sciences, toutes les matières à savoir. Lorsqu’elle s’éveilla, elle réussit en tout les domaines. Quand elle se mit au piano, elle joua merveilleusement. Lorsqu’elle rendit des devoirs à ses précepteurs, elle obtînt des notes élogieuses. Elle trouva facilement un jeune écuyer dans son entourage, qui faisait toutes ses volontés;  la Princesse avait tout pour être heureuse… »          

© 
extraits du mémoire "L'A.S. en établissement scolaire : contours d'un espace relationnel avec l'élève" Martine ASSANDRI / D.U. Penser le travail social 2008/2010



A suivre ... 

1 commentaire:

Anonyme a dit…

C'est vraiment très bien écrit, bravo ;-)

Gwen