16 décembre 2011

Un conte d'automne, chapitre 1 suite... Lucas (3)

"mère et fils" par Diane Airbus
 Par Martine Assandri 


1.2 Elève et famille


Cette situation me semble difficile à gérer du fait des positionnements parentaux : la  mère  établit la liaison avec l’école, elle reste l’interlocutrice privilégiée. Pour la vie scolaire, cependant, elle n’a pas un discours très clair et les intervenants (CPE, Surveillants) se sentent dépassés par le discours de la mère qui évoque ses difficultés personnelles, quand elle est interrogée sur celles de son fils. Le service social peut alors prendre le relais, pour tenter d’appréhender différemment la situation. Même si le contact téléphonique avec Mme T. n’a pas été très long, certains éléments sont apparus, qui s’articulent avec le discours de Lucas.
Pour Madame, qui s’exprime beaucoup par la plainte, son enfant est dit- elle en préambule, « adorable, gentil à la maison ». Elle l’excuse de ses absences et s’attribue la responsabilité de son arrivée retardée par un manque de moyens, de possibilités matérielles (elle n’a pas de voiture, ni de personnes autour d’elle susceptible de l’aider). Lorsque il lui est proposé une rencontre, pour évaluer des aides possible, c’est la fuite : « des assistantes sociales, des psychologues, j’en ai vu des tas ! Et elles ne servent à rien ! ». Quant au père « Ne comptez pas sur lui ! Il ne s’est jamais occupé de nous ! Il ne peut pas s’en occuper, de toute façon, il habite à V… c’est beaucoup trop loin ! ». Le discours de Lucas et de sa mère se rejoignent.

L’intervention d’un tiers, qu’il soit familial ou extérieur, semble donc bien compromis, lorsque l’on entend Mme T.  Cependant, celle-ci ajoute : «  si un jour, en venant accompagner Lucas, vous êtes là, je verrai si je peux passer vous voir ». Mince promesse en effet, mais Mme T. sait que la situation est connue et pose question,  que l’Ecole joue un rôle de cadre contraignant et structuré. Cela peut susciter une réflexion, un échange entre mère et fils.
A la suite de cet appel, la consultation des documents concernant la situation s’avère intéressante : information préoccupante du collège de C., rapport d’un animateur, évaluation de l’ancienne équipe. Ces personnes extérieures étaient d’ailleurs apparues dans le discours de Lucas : «  Je m’en fous des autres (adultes), de toute façon, je veux plus les voir. J’ai vu Fred (un animateur) à C. mais maintenant c’est fini. ».
Cette famille semble avoir un fonctionnement fermé sur lui-même ou le tiers est un intrus, un gêneur.
L’éclairage systémique, en termes de fonctionnement familial, parait intéressant. Il peut éclairer d’une certaine manière, un fonctionnement familial, correspondant à ce qui a été dit, par les uns et les autres, sur cette famille et ses interrelations.

La description de famille insécure ambivalente me parait décrire un type de fonctionnement, proche de celui de la  famille de Lucas [1].


<<<<conflit de COUPLE >>>>Femme                                                                                                         Homme
Insécure ambivalente                                                                                     insécure évitant








 
 

Lien privilégié                                                                                                     Père satellisé
Mère-enfant                                                                                    Investissement ailleurs                         
                                              .....................................................................




 enfant 
...........................

                      <<<<<          Mise à mal de l’éducatif.  >>>>

           conflit autour de la parentalité






Je reprends avec Lucas ce positionnement parental, pour évaluer si cette représentation correspond à une certaine réalité. J’ai besoin de lui pour comprendre ce qui se passe entre eux et pour savoir aussi si cette représentation que j’en ai est pertinente. Pour lui, et il insiste, sa mère est seule, en grande difficulté, sociale, économique affective, même si, corrige-t-il «ses parents» s’entendent bien le concernant. Il vit depuis tout petit avec sa mère et ils ont quitté la vallée où habite son père pour C., la distance géographique symbolisant peut être la distance souhaitée par la mère avec son ex-mari.
Son père est présent dans sa vie et en cela, il contredit les propose de sa mère. C’est Lucas qui change la donne : il ajoute tout naturellement, à ma grande surprise, car moi aussi, je me suis laissé envahir  par cette certitude d’un père absent, inexistant. « Mais vous voulez le contactez  mon père ? Vous voulez son numéro de téléphone ? Et son nom ? Je vous les donne moi ! »  Il les  inscrit sur un morceau de papier et me le donne avec empressement.
Lucas comprend et approuve le fait  d’être en rapport avec ses parents, les deux précise-t-il, dans le cadre de sa scolarité. Mais il relativise rapidement cette demande en affirmant qu’ils « ne viendront pas ! Vous  ne  vous rendez pas compte le temps qu’il faut pour venir ! Ils n’ont pas que ca à faire ! ». Il cherche déjà en quelque sorte une excuse pour ses parents, comme s’il prévoyait d’avance le positionnement de son père et de sa mère. A cela, il tente certainement de faire entendre la difficulté à  grandir, malgré des parents présents autour de lui,  mais absents sur des moments importants de sa vie.
                                                                                                                        A suivre ...

[1] Schéma d’après les travaux de John BOLWY, décrits par Michel DELAGE, cours de psychologie, La Famille, du 14/02/2009, D.U. Penser le travail social, Université de Toulon et du Var 


Penser Noël ...Bonnes fêtes à tous !


03 décembre 2011

Lucas (2), un garçon hors pair(s) ... suite chapitre 1

 Par Martine Assandri 


Le retour en classe de Lucas le confronte à une certaine réalité, à un rapport aux autres, adultes et adolescents. Certes, il évoque ses difficultés scolaires d’abord : « Je m’ennuie en cours, je n’écoute pas ». Il explique qu’il pense pouvoir facilement suivre les cours, comme sa mère le dit souvent et d’ailleurs ses bulletins n’évoquent pas des difficultés de compréhension, mais bien un désintérêt manifeste pour les matières enseignées. En effet comment suivre quand on n’a plus de aucune matière enseignée depuis des semaines, quand on n’arrive sans affaires pour noter…

Il  ne se saisit pas de ce lieu comme un espace d’apprentissage scolaire. Mais il se l’approprie différemment.
S’il prétend n’en percevoir que la contrainte, punitions, horaires, devoirs… il évoque aussi le rôle de  contrainte de l’école sur ses parents et sa mère en particulier, à laquelle est reprochée son « incapacité » à scolariser correctement Lucas, à enrayer son comportement inadapté.
'Balancing your business' par Nate Williams
Lucas provoque par son attitude, apporte un symptôme dans l’école. L’adolescent peut ainsi exposer quelque part ce qu’il ne peut dire à sa mère, à savoir que malgré son affection énorme (ou à cause de cela) leur relation en tête-à-tête devient lourde à porter. La nécessité de s’autonomiser, de se différencier, paraissant difficile pour Lucas, le cadre du Collège l’oblige à évoluer et à questionner l’interrelation mère-fils mais aussi père-fils. En effet, son comportement, le symptôme, attire aussi l’attention, par ricochet, sur la place de son père :

-          Mon père … Il me dit des trucs et puis souvent je vais chez lui, quand je ne vais plus au collège … Je bricole, je reste dans sa maison … Ca se passe bien mais après je retourne chez ma mère et puis au collège … »

Sur la réaction de son père suite aux incidents multiples, à la déscolarisation, Lucas le décrit comme un allié, quelqu’un qui le défend contre un système vécu comme injuste, inadapté.
-          Il me soutient ? Non, enfin oui,  mon père crie un peu… Mais en fait, il est d’accord avec moi ! D’ailleurs il l’a dit,  à mon ancien collège, que j’avais raison ! »

Il revient sur le conseil de discipline qui  a prononcé son exclusion.  La 5°, a été une année beaucoup plus difficile. C’est à ce moment que les conflits se sont  multipliés et ont pris de l’ampleur. Les sanctions tombaient, les profs « n’en pouvaient plus ». Il reconnait volontiers, peut être même avec une certaine fierté, son comportement, sa mise en échec de l’institution à avoir pu le cadrer. Pourtant il a dû partir, alors qu’il regrette cet ancien collège et en parle de façon positive. Il se met d’ailleurs en colère concernant le conseil de discipline :
-          « C’est une merde ce truc !  C’est la faute du conseiller d’éducation qui le « jette dehors alors qu’il n’a pas le droit ! » Il impute la raison de son exclusion a un conflit entre le CPE et lui, et à la réflexion, avec la principale du collège, et conclue que  « tant qu’ils y seront, je serai grillé. ». Et il est conforté dans cette vision par son père, qui est venu le jour du conseil de discipline pour la première fois, au collège. « Mon père  a pris un avocat ! Il m’a dit que ce n’était pas juste ! » Il parle avec fierté de son père, venu défier l’institution, qui a haussé le ton, menacé de poursuites etc. …
-          ils n’avaient pas le droit de me faire partir ! (il s’agite sur sa chaise, il semble énervé ; mais ce n’est pas fini vous savez … Mon père, il m’a dit que c’était pas normal …
Il n’habite pas avec moi, mais il est venu ce jour là au collège. Il leur a dit sa façon de         penser (il rit) ».

L’équipe éducative de C a appris ce jour là que Lucas avait un père et qu’il pouvait se déplacer !  Mais malgré cela, « ils n’ont pas voulu me garder. » conclue- t-il.
Chez lui, dans son quotidien,  il a l’impression de pouvoir maitriser les choses. Ainsi « je choisis mon heure de coucher et de sortie. Chez mon père, je suis moins libre ! Mais il est gentil mon père aussi, il ne me gronde pas pour rien, et si il y a une punition, ca ne dure pas. ». Lucas semble  dans une place de toute puissance que lui donnerait, du moins c’est ce qu’il explique, constamment sa mère, mais aussi son père.  Il « choisit » de ne pas venir à l’école et de rester sur son ordinateur. Il « choisit » de ne pas prendre son car, car cela est trop fatigant. Il choisit de ne pas travailler car de toute façon, il est injuste qu’il se retrouve à B contre son gré  … Le choix laissé à Lucas paraît énorme, sans limites : en cela, il peut être vécu par Lucas comme terrorisant. En effet, personne par définition « immature » au sens que l’entend Winnicott, il semble être « Le roi du château », comme dans ce jeu «  de la première période de latence qui, à la puberté, se transforme en une situation de vie, une affirmation d’être en tant que personne  »[1] où l’enfant s’imagine tout puissant.
Imaginove

Lucas émerge de l’enfance de « façon gauche et désordonnée »[2]. La croissance remarque Winnicott, n’est pas seulement lié au biologique, mais est inextricablement mêlée à un environnement facilitant. L’environnement familial de Lucas est-il facilitant dans ce positionnement de retrait, de laisser-faire, tout en étant décrit comme rempli d’amour et d’affection ? Il ne manifeste pas d’animosité envers ses parents, ni d’agressivité. Sa rébellion, il l’exerce au collège, il donne à voir dans cette institution, quelque chose de lui-même. Ce symptôme a certainement un sens, comme tout symptôme. Peut-on émettre l’hypothèse que dans l’impossibilité psychique de remettre en cause la relation parentale, le conflit avec l’école devient l’élément émergeant de cette impossibilité ? Une façon, aussi peut-être de supporter cette situation ?

                                                                                                         A suivre ...



[1] WINNICOOT D.W., Jeux et réalité , Folio poche, Paris, 2008,  p. 258
[2] Id. p. 257