24 octobre 2011

Un conte d'automne : Lucas, un garçon hors-pairs(s)...

Suite... 1° rencontre avec Lucas

Sa scolarité a été bonne jusqu’au CM2. Dés son arrivée au collège, il s’est senti mal à l’aise. Cependant la 6° s’est relativement bien passée malgré un comportement « un peu agité » précise-t-il. Pourtant, jusqu’au CM2, à la « petite école », il se sentait bien, il s’entendait bien avec le maître.
Katogi Mari

« L’entrée au collège marque l’entrée dans l’adolescence. A ce grand changement de contexte extérieur, le départ de la petite école qui marque ainsi symboliquement la fin de l’enfance, intervient un remaniement psychique profond. C’est le moment de  l'irruption de la génitalité, sur le plan physique et psychique, qui bouleverse les données du conflit œdipien. Ces nouveaux enjeux  entraînent un remaniement des données  et des certitudes personnelles de l’individu. ».[1]

L’entrée au Collège a changé le rapport avec les adultes, tant dans l’école qu’à l’extérieur. La place de sa mère, notamment, a dû évoluer.  

Je lui demande comment était organisée sa vie à cette époque. En effet, lorsque j’ai consulté sa fiche-élève, apparaît seulement le nom de sa mère. Le père n’est pas mentionné, ni son nom, ni son adresse. Lucas porte le même nom de famille que Mme T.

« Ma mère c’est elle qui vient au collège. Je suis avec elle depuis longtemps, depuis qu’on a déménagé en fait ". La mère et le fils se sont installés dans une vallée isolée du département tandis que le père, M.S. est resté dans autre vallée également très rurale, à l’autre bout du département. Il précise d’ailleurs qu’il vit avec sa mère depuis tout petit, que d’ailleurs il n’aimerait pas revenir vivre dans le village où vit son père, « Holala non ! ».

Pourquoi cela ? « Parce que c’est ma mère qui s’occupe de moi. Mon père, je le vois de temps en temps, mais ca suffit. »

Ce « mais ça suffit » a semble t il été pris au pied de la lettre par les divers adultes de l’école qui ont croisé Lucas. En fait, il semble que l’institution se soit toujours contentée de la parole de la mère expliquant qu’elle était seule à éduquer son enfant. Elle ne peut jamais compter sur M. S. qui, d’ailleurs, a refait sa vie, même s’il n’a pas d’enfant plus jeune que Lucas.

Je suis moi-même à mon insu, bien avant de rencontrer Lucas, dans cette image. Beaucoup de personnes m’ont interpellé le concernant, chacun m’apportant, à chaque fois des éléments de l’histoire.
En effet, dans cette situation, et cela arrive fréquemment, l’AS n’a pas le monopole de l’écoute de l’élève et de sa famille. Ici, il est très clair que les éléments apportés par les parents ont été fait ailleurs : prés du principal, de la CPE. L’enfant a été vu à plusieurs reprise par la vie scolaire, l’infirmière, les enseignants, bien avant de me rencontrer.
Ainsi le Principal, qui a reçu déjà longuement la mère,  a longuement repris son discours, sur ses difficultés personnelles et professionnelles, son isolement, son manque d’argent. Il la décrit  comme une femme « démunie », « qui ne sait pas que faire avec son fils » et qui, de toute façon, « n’a pas d’argent pour s’en occuper. »
La mère occupe également beaucoup de place dans le discours de Lucas :  «Je suis bien chez ma mère  Je ne veux surtout pas retourner vivre dans la même région que mon père. »  Il ne supporterait pas de vivre avec son père, car : «  Je suis mieux chez ma mère, je me couche tard, j’ai mes jeux. Elle ne me punit jamais ».
Katogi Mari
Lucas, comme tout adolescent, s’inscrit dans un contexte sociétal particulier. Un jeune se  construit aussi « sur du vide », selon la formule de  Castoriadis[2].  Plus exactement il a besoin de plages de silence, de moment inoccupé,  nécessaires, pour permettre à l’adolescent de penser, de se penser, de réfléchir, d’élaborer. Comme me l’explique Lucas, il est fort « occupé » quand il n’est pas au collège, il est actuellement comblé par des occupations multiples qui ne laissent plus de place à la construction de soi, qui occupent tout l’espace et l’empêchent de se questionner, de réfléchir et surtout d’élaborer des réponses.  En fait, Lucas est il vraiment « construit » de façon satisfaisante, au sens de construction de lui-même ?  Un adolescent  peut être considéré comme un être fragmenté, en recherche de sa propre altérité, singularité, tout en étant  membre d’un groupe, d’une collectivité.  Etre différent parmi ses semblables, tout en appartenant à une communauté de « pareils »  tel est l’étrange paradoxe de l’adolescent. Mais ce paradoxe est bien utile pour décrire sommairement les tensions qui peuvent agiter les adolescents. Notre société actuelle, consumériste, rapide, désaffiliée, renvoie chacun « à cette fragmentation »,  comme  nombre de personnes dans la société actuelle, nous dit avec justesse Charles Taylor[3].

Par extension, cette famille, également fragmentée,  semble avoir du mal à s’identifier elle même comme famille et à identifier l’institution-école comme une communauté. Elle est plus perçue comme une menace, synonyme de séparation .
                                                                                                                A suivre ...


[1] FIZE M., CIPRIANI-CRAUSTE C.,   article Faut-il être pubère et en mal-être pour devenir adolescent,   Le journal des psychologues, juin 2005
[2] CASTORIADIS C., La montée de l’insignifiance, Ed. Points Seuil, 2007, cité par PEDROT P. cours de Droit Comprendre le Droit familial du 26/09/08, D.U. Penser le travail social, Université de Toulon et du Var
[3] TAYLOR C., cité par PEDROT P. cours de Droit Comprendre le Droit familial du 26/09/08,  D.U. Université de Toulon et du Var

23 octobre 2011

Un conte d'automne : Lucas, le garçon hors- pair (s) [Hors père]

Par Martine Assandri

Voici un nouveau "conte" tiré de mon mémoire de D.U. "penser le travail social". Pourquoi Lucas me revient-il aujourd'hui en mémoire ? La saison ? trop facile.  Un adolescent vite croisé et que j'ai perdu de vue ? ce n'est pas le premier, ni le dernier . Une impression de "déjà-vu" dans une situation rencontrée aujourd’hui ? Peut-être ... Je vous livre cette histoire, la partage avec vous. Y trouver des pistes de travail, des hypothèse, matière à penser ? 

chapitre 1.  Première rencontre avec Lucas.

Je ne connais pas encore Lucas, un nouvel élève arrivé ce septembre-là,  mais pourtant, avant même son arrivée au collège, j’en ai déjà une certaine connaissance. Sa venue est en effet attendue et largement commentée par l’équipe d’établissement, qui a déjà reçu le dossier scolaire, fourni, de cet élève.
Son parcours est marqué de ruptures, d’absentéisme, de manques ; l’an passé, en classe de 5°, il a été exclu de son ancien collège de secteur de C. Inscrit dans le nouveau collège de A, il ne s’y est jamais présenté. Il a donc été décidé, après avoir vu sa mère qui se plaignait du trajet,  qu’il irait sur le collège de B ou j’exerce. Collège encore plus éloigné de son domicile habituel.
Lucas arrive donc précédé par son dossier. D’ailleurs, il n’est pas présent le jour de la rentrée. Suite à des relances par la vie scolaire, auprès de la mère  qui le garde habituellement, car les parents sont séparés, il arrive enfin au Collège.

C’est un jeune garçon, qui a 13 ans aujourd’hui, inscrit en classe de 4°.
Je reçois Lucas pour « faire connaissance ». Physiquement Lucas est encore « petit garçon » dans son allure,  même s’il a une taille habituelle chez les 4°. Il paraît ouvert, légèrement timide mais à l’aise. Je lui souhaite la bienvenue, il me semble important que ce jeune garçon se sente accueilli, qu’il soit considéré comme un élève parmi les autres. Dans le même temps, je le considère comme « unique », différencié des autres, avec un parcours particulier. Il parait judicieux, lorsqu’un(e) élève arrive au collège avec une problématique compliquée, d’établir une communication, de l’accueillir, pour permettre éventuellement la mise en place d’une relation plus suivie par la suite.
Lucas parait à l’aise en rentrant dans le bureau, il est même souriant. Il m’explique son arrivée au Collège, et la raison de son entrée tardive.

« Je suis arrivé plus tard que les autres ici, parce que j’habite loin, et en plus je ne voulais pas être ici. Mon collège c’est celui de C., où j’étais bien. Je ne voulais pas venir.
-     J’ai eu un conseil de discipline. , j’embêtai les profs,  quoi, rien de bien méchant (il rit).
-          Ben je rigolais, les profs c’était mes copains ! En plus au début ils ne me disaient rien …
-          Je ne comprends pas pourquoi d’un coup ils m’en ont voulu. Je pense que c’est à cause du CPE.
Il s’exprime facilement mais parfois, lorsqu’il semble sous le coup d’une vive émotion, il s’interrompt,  puis reprend son discours.
-          M. B (le CPE)…, celui là je l’ai vraiment fait tourner en bourrique ! D’ailleurs Madame, vous ne savez pas s’il est parti de là bas (de son collège de secteur) ? Car au moins je pourrais y retourner ! »
Sur ses relations, ses amis, les adultes qu’il a pu rencontrer, cela reste relativement flou.  Il avait des amis à C. C’est d’ailleurs son projet d’y retourner. Il me demande si le chef d’établissement et le CPE ont changé car « si ils y sont encore, je suis grillé ». Au collège de A, où il est passé quelques jours, aucun souvenir, « de toute façon je ne pouvais pas y aller, je ratais le car ».


                                                                                                     A suivre ...