27 décembre 2010

Un conte d'hiver ... Chapitre 2


L' adolescence de Coline,  une adolescence familiale

Le fait d’utiliser le conte pour décrypter ce qui apparaît dans les entretiens, me donnent une distance, ce qu’en systémie on appellerait une fonction méta, une possibilité de ne pas être engluée à mon tour dans l’angoisse de Coline. En effet, la fonction essentielle du conte, et qui devient dans cette situation d’un grand secours ! – est au-delà de donner des conseils et des leçons sur la façon de se conduire pendant une période de crise ou de trouble. Au contraire, le déroulement du conte, son irréalité, « ne se réfère pas clairement au monde extérieur… Les contes de fées ont pour but non pas de fournir des informations utiles sur le monde extérieur mais de rendre compte de processus internes, à l’œuvre dans un individu » (B. Betteheleim)

Cette approche permettra d’aborder différents aspects de l’histoire de Coline de façon distanciée et en même temps attentive, dans une perspective d’écoute sans jugement de valeur. 
(...)
Mme K accompagne sa fille, suite à ma demande, mais en fait j’attendais les deux parents. Selon Mme, son mari na pas pu se libérer car son travail est très prenant. Blonde, délicate, d’allure distinguée elle parait très proche de sa fille et ,dans le même temps, toujours attentive à faire attention à ce qu’elle dit pour ne pas la brusquer.    (...)
Contrairement à ce que j’attendais, en fonction des paroles et de la grande confusion de Coline, Mme K. relativise la violence de son mari. Ainsi dans le discours de la mère, l’altercation entre père et filles se déroule bien à huis clos, dans la caravane, en mettant la mère à l’écart. Mais ce qui , chez Coline, paraissait interminable, violent, se retrouve minimisé chez la mère : « J’ai écouté à la porte de la caravane, explique- t- elle. J’ai entendu mon mari crier, engueuler Coline. J’ai tapé plusieurs fois à la porte, et mon mari a ouvert rapidement, au bout de quelques minutes … »

                           Illustrations : Alexandra Petracchi
Ces détails agitent visiblement Coline, la mettent en colère, mais elle ne les contredit pas.  « As tu le sentiment que ta mère ne t’a pas aidée, t’a abandonnée ? »  
Coline pleure, ne répond pas, se cache le visage. La mère est navrée, me regarde visiblement dépassée, et tente d’apaiser sa fille en reprenant « il ne réfléchit pas … Il est comme ca, impulsif… Il est bien désolé d’avoir mal réagi… Il s’en veut beaucoup … »             (...)

La parole de la mère me permet d’entendre autre chose au delà de l’incident décrit, et Coline aussi.
Mme K. revient sur la relation mère fille : « Nous avons toujours vécu très proches toutes les deux … Mon mari n’était pas là, vous comprenez… Je gérais beaucoup de choses, c’est une fille vraiment adorable, la seule que j’ai … Je trouve que c’est beaucoup d’histoires pour pas grand-chose… En plus elle veut plus venir à l’école, l’année du bac, c’est dommage. »
(...)
Là encore, Coline reste l’enfant idéale, dans la bouche de sa mère, parfaite en tous les domaines. Comme beaucoup de parents, «  quand nous élevons nos enfants, nous voulons simplement être laissés en paix, n’avoir pas de difficulté, bref nous visons  à faire un « enfant modèle » sans nous demander si cette manière d’agir est bonne ou mauvaise pour l’enfant » . (S. Freud)

« Cependant à l’âge de 16 ou 17 ans, un événement survint. Le père, parti si longtemps et qui ne voyait que très peu la jeune fille, revint au palais. Fatigué, il n’avait plus envie de retourner sur les routes et estimait pouvoir se reposer un peu auprès de sa chère épouse et de sa fille. Mais la jeune princesse s’offusqua fort de l’arrivée de son père. Elle ne pouvait plus ainsi exiger tout ce qu’elle voulait, et que la reine s’empressait de satisfaire.
Un soir de bal, la princesse refusa de rentrer à minuit. Le roi se mit fort en colère, la battit avec un grand fouet, et la plongea dans un baquet d’eau glacée. Après cela, la princesse pleurait sans cesse. Elle ne pouvait accepter le châtiment, qu’elle jugeait injuste de la part du roi. Mais plus que tout cela, la princesse pleurait de l’impuissance de sa mère à la protéger à nouveau. «  Mère, ne peux tu renvoyer mon père sur les routes ? Fuyons ensemble, je t’en supplie, cet homme menaçant et inconnu, qui me menace et qui, de fait, te menace aussi ! C’est une question de vie ou de mort! » Mais à cela, la belle reine, toujours douce mais affaiblie par le poids des années, répondait alors :   « cela n’est pas possible  : tu dois pouvoir vivre avec cela ». 
Et cela rendait la jeune fille fort triste, et elle ne pouvait plus ni manger, ni dormir, ni même étudier et lire ses ouvrages préférés. Bref, elle dépérissait… » ©  

extraits du mémoire "L'A.S. en établissement scolaire : contours d'un espace relationnel avec l'élève" Martine ASSANDRI / D.U. Penser le travail social 2008/2010

à suivre ...

16 décembre 2010

Un conte d'hiver ... suite Chapitre 1 Justine, Princesse d'aujourd'hui

Ill. Alexandra Petracchi
Coline décrira plusieurs fois l’incident qui l’a bouleversée et qui est, pour elle, à l’origine de tous ses malheurs. Elle repart souvent l’air fatiguée, presque épuisée, et de mon coté, je me sens inquiète, troublée.
Se crée alors un espace entre Coline et moi-même, un espace particulier d'échange et d'élaboration, de co-élaboration.            ...
Pourquoi cet espace est-il possible ? Tout simplement grâce à l’aimant puissant du transfert, ce « lien affectif intense, incontournable et indépendant de tout contexte de réalité »  que j’identifie souvent très tôt, parfois dés la première rencontre, qui s’établit dans toute relation. Il sera ici particulièrement puissant et je peux donc être vigilante à ne pas m’y perdre, mais à l’utiliser comme levier de notre travail commun, sans me laisser envahir par l’angoisse de Coline, qui est fort importante.
...
L’été dernier la famille est partie en vacances, une semaine, chose rare car M. F., le père de Coline, « n’a que très peu de vacances et souvent ne partait pas avec nous ».
Coline a emmené son petit ami, avec qui elle entretenait une relation depuis plusieurs mois, en accord avec ses parents; « un garçon très gentil, mais depuis ces problèmes, c’est fini entre nous » dit-elle émue.
Les premiers jours se sont semble-t-il bien passés, les jeunes sortant beaucoup et profitant des loisirs, les parents faisant de leur coté des activités. Or un soir, en revenant d’une animation très tard Coline se retrouve prise à partie par son père « il me reprochait de ne pas être à l’heure… Il s’est mis à crier … J’ai eu très peur ! Je lui ai répondu que…il m’a secoué, m’a trainé dans la caravane… Il m’a frappé, je me suis retrouvée seule avec lui, personne ne m’aidait… Ma mère tapait à la porte, mais elle n’a pas appelé à l’aide … J’ai eu peur très peur, j’ai cru qu’il allait me tuer… »
(Elle se tient la tête, ses larmes coulent, elle s’interrompt plusieurs fois, se reprend). 
Finalement il a ouvert… Je ne sais plus combien cela a duré … Cela m’a semblé très long, j’étais seule, sans défense …On a plié les affaires, on est reparti dans la nuit même. Depuis cet été, je ne lui adresse plus la parole, je refuse de lui parler. Je dois partir, vous comprenez, je ne veux pas rester avec lui, être dans la même pièce que lui, c’est insupportable. Je veux partir, je l’ai dit à ma mère, qu’on devrait partir ensemble, mais elle refuse …. ».

Ces explications loin d’expliquer la nature même de son angoisse, car après tout, n’est ce pas une dispute, certes violente, mais comme cela se passe fréquemment à l’adolescence ?
D’où vient la source de cette angoisse, si puissante que je sens qu’elle m’envahit à mon tour ? Même en revenant sur cette dispute, rien n’apparait plus que ce qu’elle a décrit précédemment. Sa demande explicite, pour employer un terme systémique, tourne autour d’un départ de son domicile, lié à la peur de son père, décrit comme hostile, presque dangereux. A l’écouter, je pourrais l’imaginer à, mon tour « en danger de mort ». Elle rajoute également qu’elle souffre d’insomnies, d’angoisses, qu’elle ne peut plus travailler « comme avant, ca tourne dans ma tête, je ne pense qu’à cela ».
Elle paraît presque sous le choc, comme si elle avait vécu un événement grave, insupportable. Elle revient plusieurs fois pourtant elle n’arrive pas à exprimer ce qui la bouleverse, lui fait perdre ses repères. Petit à petit, au cours d’autres entretiens, je commence à comprendre enfin que, quoiqu’il se soit passé, cela reste éminemment symbolique. Même si cela est parfois évoqué, ce qui ressort est bien que nous sommes là, elle et moi, au cœur d’une histoire complexe, qui va au delà de ce qui est dit. Quelque chose de fantasmatique peut être, mais d’essentiel. « C’est mon père ou moi » semble dire Coline, et c’est insupportable pour elle, la scène lui a fait revivre un recadrage insupportable, un effondrement de son univers ou sa mère apparaissait toute puissante et son père sans relief, presque inexistant.

Si l’image de « princesse » a été très forte dés le premier entretien avec Coline, mélange à la fois de Blanche Neige et de Belle au bois dormant, la retranscription de cette histoire individuelle et familiale sous forme de conte me permet de mettre à jour l’importance du symbolique, du non dit, de non-réalité et en même temps d’existence confuse. Comme le rêve, le conte s’inscrit dans le préconscient , passerelle entre le conscient et l’inconscient. Il me permettra de « visionner » de rendre un peu plus lisible la nature et l’importance des conflits vécus dans cette famille, qui mettent en péril l’équilibre de Coline et au-delà de sa famille.

Le conte classique nous présente, explique Marthe Robert dans la préface aux "Contes des frères Grimm", un « petit roman familial dont le schéma est pour ainsi dire invariable, le conte permet de se ménager un espace pour la création imaginaire, un espace de compromis entre rêve et réalité… Jamais l’enfance du héros ne se passe pas sans accident …il ne peut grandir normalement ; à peine adolescent il lui faut quitter sa famille et aller, comme dit si joliment le conteur, tenter sa chance dans le vaste monde ».
Il va devenir pour moi, comme pour un enfant qui écoute un conte, « une représentation, un récit de formations et de processus de la réalité psychique » de Coline et me permettre d’entrevoir les enjeux et les difficultés dans cette histoire particulière.

« Il était un fois une très belle reine, qui avait perdu un mari et un jeune fils, qui étaient partis vivre loin d’elle. La Reine se trouva fort triste d’être seule et de ne plus avoir d’enfant à s’occuper. Elle rencontre un jeune Roi qui n’avait pas encore d’enfant, et qui tomba sous le charme mature de la belle reine. De leur union naquit Coline, une très jolie princesse. Dés sa naissance, elle apparut parfaite aux yeux de tous, comme de ses parents, et surtout de la Reine, qui la chérissait par dessus tout.
Pour éviter toutes les difficultés de la vie à sa jeune enfant, et pour éviter tout tracas à son jeune mari qui partait souvent découvrir d’autres territoires, la Reine, qui était un peu sorcière, plongea sa fille dans un rêve enchanté, qui dura longtemps de l’enfance à la puberté. Coline appris ainsi, sans aucune difficulté, ni tracas, l’arithmétique, la littérature, les sciences, toutes les matières à savoir. Lorsqu’elle s’éveilla, elle réussit en tout les domaines. Quand elle se mit au piano, elle joua merveilleusement. Lorsqu’elle rendit des devoirs à ses précepteurs, elle obtînt des notes élogieuses. Elle trouva facilement un jeune écuyer dans son entourage, qui faisait toutes ses volontés;  la Princesse avait tout pour être heureuse… »          

© 
extraits du mémoire "L'A.S. en établissement scolaire : contours d'un espace relationnel avec l'élève" Martine ASSANDRI / D.U. Penser le travail social 2008/2010



A suivre ... 

07 décembre 2010

Un conte d'hiver... Chapitre 1 : Coline, princesse d'aujourd'hui

Par un matin de novembre, j’ai vu arriver Coline dans mon bureau. Grande, Blonde, les cheveux longs soigneusement peignés, vêtue avec simplicité mais goût, elle a tout a fait l’allure de la lycéenne idéale. L’image qui me vient dés cette première rencontre est celle d’une princesse de conte de fées. Elle a une jolie voix, claire, un peu aigüe parfois, un vocabulaire recherché. Elle n’est jamais venue ni à l’infirmerie, ni dans mon bureau, depuis trois ans, date de son entrée en seconde. Elle est aujourd’hui en classe de terminale, année de son baccalauréat. C’est une excellente élève, en avance, puisque elle vient tout juste d’avoir 17 ans, mais elle parait légèrement plus âgée.
Coline est d’abord passée voir l’infirmière. Mais celle-ci, après l’avoir écoutée un instant, l’a orientée vers moi « Tu verras, une histoire de famille …. Ca a l’air compliqué » me dit la collègue.
Pour Coline, hésitante au début, il parait en effet difficile de mettre en mots sa situation.
« Je ne sais comment dire … Je sais juste que je ne peux plus supporter de vivre chez moi ».
Coline vit chez ses parents. Tout paraissait très bien fonctionner jusqu’à un incident, qui visiblement la bouleverse encore, rien qu’à son évocation.
Elle a du mal à venir en cours désormais, elle a plusieurs heures d’absences, ne rend plus son travail, se retrouve en conflit avec ses camarades. Elle qui est « un moteur de sa classe » se retrouve désemparée, mise à l’écart, par les autres élèves, qui estime qu’elle fait « du cinéma » quand elle tente d’expliquer qu’elle ne peut plus se concentrer. Les professeurs, par contre, se montrent prévenants, inquiets mais démunis, sans savoir ce qui se passe pour elle. Lorsqu’ils l’évoquent, c’est toujours de façon positive « très intelligente, brillante, agréable » et ils s’interrogent sur son absence prolongée. Ils ont alerté la Proviseur non pas dans un objectif de sanction, comme cela peut être parfois le cas, mais avec une réelle inquiétude, de la déception aussi, de perdre un si brillant élément l’année du baccalauréat.
(...)
Coline décrit une relation très proche avec sa mère car son père « routier, n’est jamais là ». Il n’a jamais vraiment été présent pour Coline et c’est Mme K. (Ses parents ne sont pas mariés) qui a toujours assumé son éducation, son suivi, son quotidien. Sa mère précise-t-elle « travaillait dans le social » ou plus exactement en tant qu’agent d’un service de santé, et « avait beaucoup de contacts avec des assistantes sociales, » souligne-t-elle. C’est une femme très autonome, mais fragilisée depuis sa maladie qui s’est déclarée lors de sa retraite, il y a deux ans. Son père, lui continue de travailler « il est beaucoup plus jeune que ma mère » dit elle d’un air gênée en rougissant. La mère semble s’occuper de tout dans la description qu’en fait Coline et elle définit son père comme « quelqu’un que je ne connais pas vraiment, et c’est pour ça … ». Elle s’interrompt, comme souvent, et les larmes lui montent aux yeux. Dans ces paroles, j’entends une très grande valorisation de sa mère, des propos très positifs et une certaine dévalorisation de son père « il n’a pas fait d’études ; il ne sait pas comment on vit ; il s’occupe que de son boulot…» Lorsque elle parle de son père, son visage s’anime, elle se redresse sur sa chaise, je la vois presque en colère.
« Mon père, n’est jamais là, il est toujours sur les routes avec son travail. Avec ma mère, on s’est fait un petit cocon à nous deux. Et là, il arrive, parce que en ce moment il a moins de travail et il veut faire le père … »
Que s’est il donc passer qui la bouleverse visiblement, car elle n’arrive pas à formuler le nœud du souci qui la préoccupe. « J’ai peur …. Je ne veux plus rentrer chez moi …. Je ne veux plus lui parler …Je refuse d’être dans la même pièce que lui… ».
Pourquoi cette appréhension ? Son père était-il violent avec elle, sa mère ? « Non… mais maintenant oui, je pense… j’ai peur pour moi, j’ai peur pour ma mère » mais cela reste confus, fantasmatique, elle semble décrire un cauchemar.                                                                       Illustrations R. Dautremer
Dans l’adolescence, période de changement profond, le sujet se retrouve confronté à certaines réalités, une conscience morale « en effervescence », la fin de la période de latence. Pour Coline, cette période apaisée, de calme, de structuration semble s’être prolongée même si sa puberté s’est affirmée, qu’elle a découvert la sexualité, eu des relations avec des garçons, des sorties entre copines, une adolescence normale, banale presque. Presque car Coline n’a jamais rencontré de soucis particuliers, sa scolarité se déroulait sur un tapis enchanté, ses relations paraissent idylliques, avec sa mère … Sauf que cette année, plus rien n’est pareil.
Mais il semble que l’incident à l’origine de tous ces troubles viendra faire éclater la bulle enchantée qui semblait exister autour d’elle. La mère me dira plus tard « c’est comme si tout avait explosé, et je ne comprends toujours pas pourquoi ».    ©       

A suivre ...
extraits du mémoire "L'A.S. en établissement scolaire : contours d'un espace relationnel avec l'élève" Martine ASSANDRI / D.U. Penser le travail  social  2008/2010